samedi 23 mai 2009

J'ai fait de beaux voyages

Sans mettre le nez dehors, j'ai entrepris en une semaine un véritable tour du monde par les livres. En sautant d'un endroit à l'autre, sans aucun souci de correspondance entre deux trains ou deux avions, sans avoir à me préoccuper de trouver un logement. De belles aventures à partager en préface d'Etonnants Voyageurs. Je ne connais pas de plus beau festival de littérature. J'y ai amassé, pendant une bonne demi-douzaine d'années, des tonnes de souvenirs. Rencontres, découvertes, lectures à flux continu... Saint-Malo accueille dans quelques jours la vingtième édition de la manifestation. Si vous avez l'occasion de passer par là, n'hésitez pas.

Etonnants Voyageurs, c'est d'abord un homme tout aussi étonnant, Michel Le Bris, Breton têtu et ouvert sur le monde, qui vient de publier son autobiographie, Nous ne sommes pas d'ici. Un livre qui lui ressemble dans la générosité mise à raconter ses élans, ses passions, le bruit du vent et les mouvements de la mer, ses luttes politiques et littéraires, l'immense travail accompli sur l'oeuvre et la vie de Stevenson, les amitiés...
J'ai été particulièrement sensible à ce qu'il dit de Jean-Claude Izzo, qui fut de l'aventure du festival mais que, comme Michel Le Bris, j'avais d'abord rencontré à Strasbourg, au Carrefour des Littératures Européennes. Izzo n'était pas encore écrivain, et Le Bris explique comment, sollicité pour donner un texte à la revue Gulliver, l'ami Jean-Claude lui donna ce qui allait devenir le début d'une célèbre trilogie marseillaise, Total Khéops. Si vous ne l'avez pas lue - ou si vous n'avez connu Fabio Montale, le personnage principal, qu'à travers l'image qu'en donna Alain Delon dans une série de téléfilms, il est encore temps de découvrir ce monument de la littérature policière, en un gros volume, la Trilogie Fabio Montale.
Je m'égare... Non, on ne s'égare jamais à suivre Michel Le Bris.
Qui, pour revenir à Etonnants Voyageurs, me disait il y a quelques jours comment il réagirait s'il était déçu par la prochaine édition du festival:
"Cette édition est une aventure, c'est-à-dire un risque pris. Qui dit risque dit aussi possibilité d'échec, ou de déception. Pour le moment, ça va. Mais on ne sait jamais. Ce serait une motivation pour faire mieux l'année suivante. Ou ce serait le signe que nous sommes au bout de l'aventure. Ça aussi peut arriver. Si ce n'est plus une aventure, surtout, avoir la sagesse d'arrêter! Mais j'ai plutôt l'impression d'être au début de l'aventure!"
Nicolas Bouvier était là aussi au début - le vrai début - de l'aventure. Voyager avec lui, c'est nourrir plus de doutes que de certitudes. Le vide et le plein a été publié après sa mort en 1998 et a été construit à partir des carnets tenus lors de plusieurs séjours au Japon, de 1964 à 1970. Poète de l'ordinaire et de l'infini, l'écrivain suisse n'est pas vraiment un globe-trotter. Il ne cherche pas l'exploit, à moins que l'exploit consiste à accepter les différences et une certaine incompréhension. Un monde étranger présente toujours un peu d'opacité qu'il est inutile de vouloir percer tout à fait.
De ce livre splendide, je voudrais vous donner un avant-goût en cueillant quelques pépites - ce n'est pas difficile, il y en a tant qu'il suffit de se baisser pour les ramasser.
Une histoire qui doit bien les faire rire, c'est celle de Vatel. Se suicider parce qu'on rate son gratin de dorades. Dame! C'est vraiment la moindre des choses. Ils doivent se dire qu'en France, on devenait célèbre à bon compte. Mais au Japon, c'est s'il ne s'était pas tué qu'il aurait fait parler de lui.
Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C'est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a jamais coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste, c'est du patinage ou du tourisme.

Toujours on parle de l'attrait de "l'inconnu", et ce produit continue à se vendre fort bien. Mais c'est pour les paresseux ça: l'inconnu. On ne dit pas comme dans la répétition, le mystère grandit.
Bernard Ollivier pense probablement la même chose, lui qui, après être allé loin - et à pied - sur la Route de la Soie (Longue marche), s'est lancé sur un parcours bien plus familier, puisqu'il est tout entier sur territoire français et suit l'intégralité du cours de la Loire. Aventures en Loire s'est fait d'abord en marchant puis, lorsque le fleuve devenait navigable, en canoë - une embarcation dont l'auteur n'avait aucune expérience, ce qui lui a valu quelques déboires. Mais aussi bien des plaisirs, qu'il a décidé de partager avec ses lecteurs - et il en a beaucoup, des lecteurs, il lui est d'ailleurs arrivé, pendant ce voyage, d'en rencontrer!
Dans une sorte de conclusion, vers la fin de son récit, il écrit ces phrases pleines de sagesse, et que l'on ferait bien de méditer:
En six semaines, je me suis prouvé qu'il n'est nullement besoin, pour assouvir sa soif d'inattendu, d'aller chercher l'imprévu ou l'inconnu très loin, sous les tropiques ou les pôles. Tout trajet est une aventure. Les déplacements solitaires plus que les autres. Je n'aurais pas trouvé plus de satisfactions, de bonheurs, de frissons ou de belles rencontres dans l'endroit le plus reculé du monde. L'aventure est dans la manière du voyage plus que dans le lieu.
Benjamin Desay, dans Le vagabond des ruines, n'est pas très éloigné des précédents pour la plus grande partie de sa démarche. Il fait d'ailleurs plusieurs fois référence à Nicolas Bouvier, devenu décidément la référence absolue en matière de récit de voyage. Ainsi qu'un modèle qui, comme tous les modèles, reste difficile à égaler.
En quête des ruines de temples - pas ceux qui figurent dans les guides touristiques -, Benjamin Desay tente donc de s'imprégner des lieux, ou plutôt d'être imprégné par eux.
Je pourrais citer aussi pas mal de phrases qui seraient dans le ton des précédentes. Mais, allez savoir pourquoi, un sentiment de gêne m'a saisi après quelques pages et n'a cessé de croître jusqu'à la fin du livre. J'ai eu l'impression que l'auteur était davantage dans la pose que dans la vérité, qu'il faisait beaucoup d'efforts pour trouver une autre manière de dire l'Asie, et qu'il y arrivait presque. Mais seulement presque. Pas tout à fait.
Peut-être étais-je arrivé à la fin (provisoire) de mon voyage par la littérature. On ne sait jamais pourquoi un livre vous déçoit. Est-ce qu'il est partiellement raté ou est-ce que l'état d'esprit, quand on l'a lu, n'était pas le bon?
Je laisse donc le bénéfice du doute à Benjamin Desay...

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