lundi 8 juin 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (14) - Stock

Jean-Marc Roberts conserve sa marque chez Stock: couvertures bleu nuit pour le roman français. Sans pour autant négliger les traductions, au nombre de trois dès le mois d'août. Deux vagues, à une semaine d'intervalle, pour cette rentrée.

Pierre-Louis Basse, Comme un garçon (19 août)

Il s’appelle Pierre-Louis. Pierre-Louis Garçon. «Comme un garçon», disait-on dans la cour de récréation, à Nanterre. Au fil du temps ce nom s’est détaché de lui. Il l’a remplacé par un pseudonyme. Longtemps il a vécu en regardant en arrière, en quête d’un amour perdu à vingt ans. C’est en fermant les yeux et la bouche de son père qu’il ressent violemment la fuite du temps. La nécessité d’en finir avec sa jeunesse.
Durant une semaine, Pierre s’installe pour écrire dans une chambre d’hôtel, place de Clichy, à Paris. Au plus près du visage de Lucie qui le hante depuis 1979. Tandis qu’un électrophone rejoue la bande-son de cette année-là, Patti Smith, Zappa, Higelin, il se rappelle sa rencontre avec la jeune fille et leur groupe d’amis, politisés, partageant le goût du cinéma et de la littérature. L’époque des Pierre Goldman, Mesrine, Sartre, Marchais, Mourousi, Ockrent. Aux images surgies du passé répondent celles d’aujourd’hui, dessinant une époque cynique et matérialiste à laquelle Pierre se sent de plus en plus étranger. Dans la chambre revit un théâtre peuplé de fantômes, d’ombres et de lumière, tandis que se glissent des visages de femmes sur l’écran de son ordinateur. L’espoir, peut-être, de retrouver l’amour.

Avec Comme un Garçon, Pierre-Louis Basse signe un premier roman élégant et mélancolique.

Yann Suty, Cubes (19 août)

J’ai passé mon enfance à entendre des histoires le concernant. Tout le monde ici en avait une à raconter sur ce voisin pas comme les autres qui effectuait des tours du monde à bord d’improbables machines dont il avait lui-même conçu les plans, qui séjournait en orbite autour de la Terre, concourait au record du monde de plongée en apnée ou de vitesse en voiture… Le Duke a été le héros de mon enfance. Avec Alexis, nous en faisions l’un des personnages favoris de nos aventures. Combien de vies lui avons-nous fait vivre ! À combien d’épopées l’avons-nous fait participer! Il devenait un roi, un président ou un général, et nous, fidèles chevaliers à son service, espions en mission top secrète, nous tentions de déjouer les complots qui le visaient. S’il savait combien de fois nous lui avons sauvé la vie!

Et une nouvelle histoire va se construire autour du Duke, quand le narrateur et Alexis aperçoivent un jour de mystérieux cubes en verre dans le jardin de ce voisin milliardaire, une histoire non plus seulement fantasmée mais réelle, et inexplicable pour les deux enfants.
Alors qu’Alexis doit déménager peu après, le narrateur porte seul ce souvenir qui l’obsède. Adolescent solitaire puis adulte centré uniquement sur son travail, il retrouve Alexis et sa vie s’épanouit autour de son ami d’enfance, puis d’Erena, sa femme, et finalement du Duke dont il va devenir un des plus proches collaborateurs alors que ses interrogations sont toujours restées aussi présentes, entretenues par les multiples figures de cubes qu’il croise au cours de sa vie.
Mais n’ont-ils pas été là plus particulièrement aux moments les plus importants de son existence?
Et sa destinée n’est-elle pas à reconsidérer du point de vue de ces orientations sous-jacentes, et qui l’auraient guidé jusqu’ici?

Anne Plantagenet, Le prisonnier (19 août)

Qui est celui que l’on surnomme Papa? Qui est cet homme que l’on traque depuis des mois? Que l’on arrête enfin au milieu de la nuit? L’a-t-on dénoncé? Est-il un hors-la-loi, un assassin, un révolutionnaire? Julia, la jeune institutrice du village, se pose toutes ces questions quand la bande de ceux qui ont capturé Papa viennent la réveiller et lui demandent de les suivre. Elle comprend qu’ils ont enfermé Papa dans une salle de classe, la classe de son école, elle comprend qu’elle n’a pas le choix. C’est elle qui, pendant toute la nuit, doit surveiller le prisonnier, le nourrir, le nettoyer, le soigner avant qu’on le livre. Au début Julia a peur. Il y a du sang dans la classe, celui de Papa. Elle est seule face à un homme à terre, puant, hirsute. Jusqu’au petit matin, elle lui donne à boire, l’alimente, lui parle, se parle à elle-même. Des sentiments contradictoires l’assaillent. Alternent en elle le dégoût et l’envie, la haine et la compassion. Entre la jeune fille solitaire, vivant en marge du village, qu’un amant a récemment trahie et quittée, et le prisonnier blessé, humilié par des gamins arrogants, se noue un dialogue singulier et émouvant.
Qu’y aura-t-il au bout de cette nuit pour l’un et l’autre? La rédemption? La mort? Une autre vie possible?

Le prisonnier est un magnifique huis-clos qui se joue sur un face-à-face fiévreux et intense. C’est un roman d’un noir étincelant, un chant de vie et de mort, où se côtoient victimes et bourreaux.

Jean-Marc Parisis, Les aimants (19 août)

C’est l’histoire d’un homme qui va rechercher dans l’écriture la jeune femme qu’il a perdue dans la vie. Ava, rencontrée alors qu’ils avaient vingt ans. Ava, qui fut l’amour, l’amie, l’âme sœur. Ava, qui s’est éteinte alors qu’elle brûlait de vie.
Et c’est bien la vie qui brûle dans ce roman. Étincelles de grâce, d’innocence, de violence aussi. Pendant toutes ces années, on dirait que ces enfants terribles se découvrent à chaque page. Quand ils se séparent à trente ans, c’est pour mieux se retrouver: d’amants, ils deviennent frère et sœur. Un autre miracle de l’amour. Un autre mystère aussi, puisque s’ils ne se sont jamais quittés, ils n’ont jamais vraiment pu vivre ensemble. Libres comme l’air, les deux complices auront joué avec le temps sans penser qu’il pourrait les blesser, ni se douter que la mort pourrait les séparer.
Ce roman d’une beauté fière et recueillie tue le temps et regarde la mort dans les yeux pour ciseler un magnifique portrait de femme entre ciel et terre.
Une femme dans sa vérité, ses lumières, ses ombres aussi. Secrète et solaire comme la poésie. Et dont la présence brille ici d’émotion et de grandeur.
Les aimants revient sur les pas d’un amour et rejoint l’éternité, parce que c’était elle, parce que c’était lui.

Philippe Routier, Pour une vie plus douce (19 août)

Au début c’est une histoire presque banale. Celle d’un couple qui rêve d’une vie meilleure et se laisse séduire par les illusions du monde consumériste.
Bertrand travaille sur une plate-forme colis de la Poste. Ayant raté les divers concours de promotion interne, il n’a aucune chance de voir sa carrière évoluer. Sandrine est une ouvrière spécialisée précaire. Ils se marient, ont un enfant et s’installent dans un ILM de Sartrouville. Ils pourraient y vivre modestement mais le couple a pris l’habitude de s’offrir à crédit ce qu’il désire. Pourquoi vivre au rabais alors que des organismes financiers proposent une existence plus douce? Ils empruntent lourdement pour acheter un pavillon. Le père craque pour un barbecue à gaz ultra luxueux et une cheminée écolo dernier cri. L’engrenage du surendettement broie la famille qui explose. L’homme se retrouve seul avec son fils de neuf ans. Poursuivi par les créanciers, victime d’humiliations quotidiennes qui ne laissent entrevoir qu’un avenir misérable, il décide de commettre l’irréparable.

Pour une vie plus douce prend le pouls de notre société de consommation à travers l’histoire d’une famille modeste, étranglée par les crédits, dont la vie tourne au drame. Cependant il y a de l’espoir et beaucoup d’humour dans ce roman incisif où pointent une belle humanité, une tendresse sincère pour des personnages vrais, pudiques et attachants. Des êtres fragilisés qui s’arrangent avec une vie d’injustices et de malheurs et se révèlent magnifiquement solidaires. En filigrane, la relation du père et du fils, forte et émouvante, pose subtilement les questions des liens familiaux et de la culpabilité.

Brigitte Giraud, Une année étrangère (19 août)

Partie en Allemagne comme jeune fille au pair, Laura, à dix-sept ans, découvre tout d’abord qu’elle ne connaît pas si bien la langue de ce pays étranger. Puis c’est au tour de la famille qui l’accueille, un couple et deux enfants, de la troubler par leur simple mode de vie, leur comportement, leurs habitudes. Est-elle venue pour s’occuper des enfants, pour effectuer des tâches ménagères, pour parfaire cette langue ou tout simplement pour grandir enfin? Elle est arrivée dans une famille banale qui paraît moins déchirée que la sienne, moins lourde de secrets et pourtant, peu à peu, Laura va affronter plusieurs mystères : mystère des origines, de la transmission. Elle aimerait tant déceler à travers ces personnages une vérité, un sens qui lui permettraient enfin de combler les vides et les silences de son adolescence interminable. Reconnaît-elle en s’attachant au seul garçon de la famille le petit frère qu’elle a perdu? A-t-elle raison d’attendre avec autant de fièvre des nouvelles des siens restés en France? Parce qu’elle retrouve chez le grand-père des enfants un exemplaire de Mein Kampf, elle est prête à tirer des conclusions hâtives et ne peut s’empêcher de lire ces pages frappées d’interdit qui la révulsent tout en la fascinant. La mère des enfants tombe malade. Le père semble se rapprocher de Laura chaque jour. Que recherche-t-il auprès d’elle? Laura se demande quel est le prix à payer pour devenir une femme, affronter l’avenir, quitter cette maison pour rentrer dans la sienne.

Lyubko Deresh, Culte (26 août)

«Culte n’est pas qu’une fiction palpitante et pleine de rebondissements, c’est aussi un roman inouï sur la jeunesse, sur ses peurs et surtout sur la peur elle-même.» Saša Stanišic

Bienvenue à Midni Bourky, une petite ville étrange perdue dans les Carpates. Yurko Banzaï, un professeur de biologie inexpérimenté, y est envoyé pour faire ses premières armes; amateur de culture underground, il est jeune et consomme des drogues en tout genre.
Il remarque très vite Dartsia Borges, jeune femme timide et rejetée par tous, en particulier par les pestes telles que Irynka, dite «Piggy la Cochonne». Les cours passent, les journées se ressemblent, Yurko ne pense qu’à Dartsia. La belle et énigmatique Dartsia. Mais très vite le vent tourne. Des phénomènes étranges se produisent. Des hiboux envahissent la ville, des gens disparaissent, une épidémie de grippe gagne le collège. Les rues se vident, tout comme les salles de classe. Des rêves déconcertants s’enchaînent et se poursuivent nuit après nuit jusqu’à effacer la réalité elle-même…
Lyubko Deresh réussit un tour de force avec Culte – écrit quand il avait à peine seize ans – en nous entraînant dans un roman fantasque qui fait revivre la culture pop-rock musicale et littéraire. Hendrix, Led Zeppelin, Kerouac ou Burroughs sont les références incontournables de ce livre d’initiation léger et profond à la fois, qui, sous couvert du fantastique, dresse une critique ingénieuse d’une Ukraine post-communiste à la recherche de son identité.

Sara Stridsberg, La faculté des rêves (26 août)

Dans cette fiction, Sara Stridsberg rouvre le dossier de Valerie Solanas, cette féministe radicale qui tente d’assassiner Andy Warhol en 1968, juste après avoir écrit le SCUM manifesto, texte dans lequel elle prône la destruction du genre masculin.
Dès le début du roman, on entend la voix déterminée de Solanas et on plonge avec elle dans son passé. Apparaissent les souvenirs obsédants de conversations avec les personnages clés de son existence : sa mère, ambiguë et destructrice, le directeur de l’université de psychologie dans laquelle elle est admise, Andy Warhol lui-même et son désir obstiné de faire d’elle une matière pour son art, la psychiatre chargée de son cas après la tentative d’assassinat.
Si l’auteur restitue la folie et les souffrances de Solanas, elle plante un décor: l’Amérique des années 1930 aux années 1980, une société marquée du sceau de la violence (Hiroshima, la peine de mort) et une époque au cours de laquelle, en dépit des droits que les minorités conquièrent de haute lutte, l’économie et la presse prennent un pouvoir effrayant, source de mensonges et de manipulations. Et si l’Art lui-même n’était alors devenu qu’une grande supercherie? Dans une langue tour à tour poétique et familière, provocante et rassurante, drôle et tragique, Sara Stridsberg accomplit la prouesse de nous plonger dans les méandres de cet esprit tourmenté qui nous poursuivra longtemps après la lecture. Et l’on se surprend à souhaiter pouvoir arrêter la machine implacable du destin…

Wendy Guerra, Mère Cuba (26 août)

Nadia Guerra est une jeune femme qui se bat contre l’oubli et l’immobilisme. Animatrice de radio, elle se fait le porte-parole d’une Cuba de l’ombre, sensuelle et rebelle. Elle obtient une bourse pour Paris. Elle quitte son île, son père, pour se rendre dans la Ville lumière, lieu de tous ses fantasmes. Mais l’art n’est pas sa seule motivation: elle part aussi pour revoir sa mère, Albis Torres, qui l’a abandonnée alors qu’elle n’avait que dix ans pour fuir à l’autre bout du monde. Elle va finalement la rattraper à Moscou. Mariée. Mais sans mémoire de sa vie passée, présente et future. Alzheimer. Refusant de la laisser là, perdue et désorientée, Nadia va la ramener dans son pays natal. En fouillant dans ses affaires, elle va retrouver, perdu parmi les livres interdits, le journal que cette femme tenait à Cuba à la veille de la Révolution. Elle donne ainsi à entendre le son de cette époque déterminante et y dresse notamment le portrait de Celia Sanchez, cette héroïne révolutionnaire qui fut la première épouse de Castro.

Mère Cuba, dans la lignée de Tout le monde s’en va, fait le lien entre l’intime et la fiction, entre l’Histoire et l’histoire, nous immergeant dans le cœur d’une génération qui porte un héritage révolutionnaire fatidique, aussi lourd que fascinant. En variant les registres et les procédés littéraires (dialogues, poèmes, chansons, journaux), l’écrivain met à nu la mémoire de la nation cubaine tout entière, qui nous dévoile ici son âme.


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