jeudi 7 octobre 2010

Mario Vargas Llosa, lecteur de romans qui mentent pour dire vrai

Comment aborder l'homme et son œuvre? Mario Vargas Llosa, depuis tout à l'heure prix Nobel de littérature, a eu une vie pleine, a vécu pas mal d'événements agités et il a écrit tant de livres - parmi lesquels j'en ai lu trop peu...
En marge de ses grands romans, la part la mieux connue de sa production littéraire, je m'attarderai donc, à défaut d'embrasser large, sur un seul ouvrage, un recueil d'articles rassemblés en 1992 sous un titre qui fait penser à Aragon et à son Roman vrai, La vérité par le mensonge. Une sorte d'art littéraire bâti sur les réflexions nées de ses lectures, dont il était venu parler à Bouillon de culture, et sur lequel j'avais à l'époque écrit ce texte.

En juin 1990, la vie de Mario Vargas Llosa a été sur le point de basculer: candidat aux présidentielles dans son pays, le Pérou, il aurait pu, comme Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, avoir à s'occuper de politique beaucoup plus que de littérature. Heureusement pour ses lecteurs, il n'a pas été élu. Et le voici donc de retour en France, non pour un voyage officiel, mais pour présenter son nouveau livre, La vérité par le mensonge.
Il s'agit simplement, si l'on veut, d'un recueil d'articles consacrés à de grandes œuvres littéraires du siècle. Il s'en dégage, mises notamment en évidence par un premier article plus général, quelques idées fortes. Elles ne sont pas d'une originalité transcendante, mais il est toujours bon de les rappeler.
À propos de la vérité ou du mensonge dans le roman, Mario Vargas Llosa renvoie la question à ceux qui la posent: «En effet, les romans mentent, ils ne peuvent s'en empêcher, mais ce n'est là qu'une partie de l'histoire. L'autre, c'est qu'en mentant ils traduisent une curieuse vérité, qui ne peut s'exprimer que sous le masque et le manteau, déguisée en ce qu'elle n'est pas.»
Sur l'imagination et le désir de vivre d'autres vies, sur la mémoire et la déformation des faits, sur l'importance du mensonge et la tentation totalitaire, il fait en quelques pages une synthèse limpide dont on sort plus confiant que jamais dans la santé de la fiction.
D'autant que les articles qui suivent et qui sont, c'est de là que naît en grande partie leur intérêt, des relectures plutôt que des lectures, montrent bien comment le temps qui passe n'enlève rien à la force des livres importants même s'il peut en modifier la perception. C'est vrai pour Une journée d'Ivan Denissovitch, à propos duquel Vargas Llosa se demande: «Est-il possible que ce bref récit paru en 1962 ait provoqué pareille émotion? De manière générale, une lecture à distance est souvent plus sereine. La première fois, dans le mouvement de l'actualité, on a lu Lolita pour son odeur de soufre, Le docteur Jivago pour des raisons politiques, La belle Romaine comme un livre maudit...»
D'un autre point de vue, Vargas Llosa découvrant Dublin a eu l'impression d'être trompé. Ce n'était pas la vraie ville que Joyce lui avait fait connaître. Et pourtant, la première qualité d'un roman n'est pas pour lui d'apprendre quelque chose au lecteur ou, pire, de vouloir le convaincre. C'est en parlant de La Puissance et la Gloire, de Graham Greene, qu'il l'énonce le plus clairement: «La première obligation d'un roman - pas la seule, mais assurément la primordiale, condition indispensable pour les autres - n'est pas d'instruire, mais de charmer le lecteur: détruire sa conscience critique, l'abstraire du monde réel et le plonger dans l'illusion.»

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