mercredi 16 février 2011

L'année littéraire (15) - François Nourissier, le corps a craqué

Je ne me suis jamais représenté François Nourissier comme l'homme d'influence auquel on le réduisait souvent. Pour l'avoir lu (La crève, Le maître de maison, Allemande, etc.) avant de savoir quelle place il occupait dans le monde germanopratin, il a toujours été d'abord, à mes yeux, un écrivain.
Ensuite, au fil de nos rencontres, j'ai appris à le connaître - et à l'apprécier. Il avait de la littérature une haute opinion tandis que la vie littéraire l'amusait. Il était surtout lucide. Quand il était conseiller chez Grasset, il expliquait pourquoi le comité de lecture passait surtout son temps à refuser des manuscrits dont certains auraient peut-être mérité un meilleur accueil. Il écoutait, il répondait aux questions avec franchise.
Puis, tandis que je m'étais éloigné géographiquement des lieux où je l'avais souvent croisé, lui-même a senti son corps le lâcher. Ses derniers livres sont des déchirements.
J'ai pourtant aimé le retrouver, même diminué, dans le nouveau roman de Pierre Assouline, Vies de Job, où les visites au vieil homme sont l'occasion de pages amicales et émouvantes.
Et, puisque François Nourissier a fait profession de s'exposer sans fards, je vous propose l'article que j'avais écrit à la parution du Prince des berlingots, un livre terrible et indispensable.

Jusqu'au bout. François Nourissier ne nous épargnera rien de la maladie qui le diminue, Miss P., ni putain ni respectueuse. Le plus écrivain des parkinsoniens (malgré les recueils de poèmes de Jean-Paul II que Nourissier, d'ailleurs, voit pencher et trembler, dans le rythme) ne change pas de regard sur lui-même. Fidèle à son grand principe d'auto-dépréciation, il explique ici, une fois de plus, quel chemin détourné il a emprunté: «Devenir respectable en n'essayant plus de l'être : telle était la recette.» Si c'était si simple, il faudrait reconnaître que cela a plutôt bien fonctionné. Puisqu'il est devenu Prince des berlingots - on veut dire, il veut dire: président de l'Académie Goncourt, détenteur de l'influence réelle ou supposée qui accompagne le titre. Mais est-ce si simple?
François Nourissier ne serait pas l'autobiographe qu'il est depuis 1963 (Un petit bourgeois) à travers maintenant sept ouvrages, s'il s'en était tenu à une idée simple. A moins, bien sûr, de qualifier ainsi la constance dans la mise en scène de moments interprétés, plus vrais dans leur version écrite que dans leur version vécue.
Bref, au fil du temps, l'âge aidant, chez l'auteur immatriculé parisien (75... ans!), les sujets évoluent en fonction d'un état physique qui se dégrade, mais sans apitoiement. Quel étrange retournement de situation, dont l'ironie se goûterait volontiers si elle n'était, en un sens, tragique, quand l'homme qui aimait les femmes se surprend à baver en public près d'une princesse de Monaco! Pourtant, Nourissier racontant cela parvient à être presque drôle. Quand on se surprend à sourire, voire à rire, on se retourne, gêné, de peur d'avoir été observé en train de se moquer d'un handicapé. Mais, si quelqu'un nous observe, c'est l'écrivain en personne, l'œil rieur lui aussi.
Il y a pourtant des moments de découragement, il est impossible de sourire toujours devant l'incapacité d'accomplir les gestes les plus simples. Quand sortir d'une baignoire devient une aventure, quand quitter un restaurant s'apparente à un steeple-chase maladroit, quand l'ambulance est au rendez-vous... Non, décidément, Nourissier ne nous épargne rien. «Jamais je ne me passerai sous silence», dit-il d'ailleurs au début de ce texte éprouvant, exaltant, troublant.
Il appartient à chaque lecteur d'accepter la confrontation avec le corps déglingué - et l'esprit lucide. Mais le chemin est, somme toute, plus naturel qu'il y paraît. Car la route tortueuse qui correspond, il ne faut pas se mentir, à une fin de parcours chaotique est une victoire de chaque instant. Contre les pieds en béton le matin, contre celui des deux doigts avec lesquels il tapait ses textes à la machine qui refusent désormais tout service. Malgré tout cela, et bien d'autres soucis qui hantent le quotidien, voire chaque instant puisque les rémissions sont brèves, la vie continue. Donc l'écriture.
Il n'entre sans doute pas dans les intentions de François Nourissier de se transformer tout à coup en donneur de leçons. Mais quelle leçon, pourtant, que ce Prince des berlingots empli de dérision et de volonté, à parts à peu près égales! Et qui poursuit, souterrainement, le but affirmé dans la dédicace: «Discréditer la maladie, la déshonorer, lui arracher le masque horrifique, c'est-à-dire ridicule, dont l'affuble notre peur.»
L'homme souffre et meurt, c'est bien entendu. Mais pas sans lutter.

3 commentaires:

  1. oui la vie continue, lire c'est un petit peu s'arrêter, écrire parfois se tourmenter ou s'exalter, je vous ai lu ce matin chez pierre assouline, quel écho que ces vies de job et la fin de Nourissier. Un nom qui s'est beaucoup entendu, mais j'avoue ne pas avoir lu Nounours ...

    beaucoup aimé aussi le billet sur Dumas et ses chroniques napolitaines, et puis un intérêt assez fort pour le dernier Pelot, Maria. Pelot dans ses Vosges un vrai !

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  2. La mort, la disparition d'un écrivain c'est souvent l'occasion de le lire ou de le relire, ainsi il ne disparaît pas complètement, il ne meurt pas vraiment...C'est l'apanage des artistes face aux simples mortels que nous sommes?

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