jeudi 26 janvier 2012

Andreï Makine entre amour et dissidence

Voici un roman, Le livre des brèves amours éternelles, qui peut presque se lire comme un recueil de huit nouvelles. Mais il se tisse entre elles une cohérence rendue explicite par le début et la fin, où un personnage d’abord rencontre Dmitri Ress, qualifié de dissident au temps de l’URSS, puis se le remémore après sa mort, découvrant qu’il avait aimé avec intensité, alors qu’il l’imaginait solitaire.
Le reste du livre est donc occupé par des histoires d’amour, histoires qui laissent un souvenir éternel en raison même de leur brièveté. Andreï Makine explore ce paradoxe apparent dans différentes situations déclinées au fil des changements survenus dans le pays. De l’utopie marxiste à la pesanteur d’un Etat tout-puissant, de l’espoir né en 1989 au règne de l’argent, l’environnement social et politique en mutation influence les amours – brèves ou longues.
Chaque chapitre recèle, en son cœur, une scène fondamentale qui en est la justification. Andreï Makine possède l’esprit de système, un peu trop d’ailleurs. Une de ces scènes marquera cependant ceux qui la liront presque autant que ceux qui l’ont vécue. Quand, dans un cinéma, le narrateur et son amoureuse du moment vont voir Mille milliards de dollars, le film d’Henri Verneuil, toute la salle applaudit à une scène. «L’ovation qui éclata fut plus éruptive qu’à n’importe quel concert de rock.» Patrick Dewaere, qui incarne un journaliste, prend une chambre dans un hôtel de province, et le préposé ne lui demande pas davantage ses papiers qu’au couple qui le suit. La situation est inimaginable pour les spectateurs, parmi lesquels se trouvent probablement bien des amants qui ne peuvent, eux, se réfugier à l’hôtel tant les contrôles d’identités y sont stricts.
«Ce soir-là, plus efficacement que tous les dissidents réunis, Patrick Dewaere a contribué à la chute du mur de Berlin», ajoute Andreï Makine. Ce qui est probablement excessif mais s’inscrit parfaitement dans la logique de son livre.

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