mercredi 7 mars 2012

Passage en poche du Goncourt 2010 de Michel Houellebecq

Aujourd'hui, un an et demi après sa publication retentissante, La carte et le territoire sort au format de poche, passage obligé pour un public plus large que celui, déjà nombreux, fidèle à la course derrière les nouveautés.
Je ne suis pas fou de Michel Houellebecq et cela a dû se savoir puisque, en 2010, une journaliste d'Europe 1 m'avait téléphoné avant le Goncourt annoncé, histoire d'avoir quelqu'un à opposer aux multiples voix favorables qui s'étaient élevées, un peu partout, en faveur de l'écrivain. Sur le site de sa radio, elle avait ainsi résumé mon propos:
Le thème choisi par Michel Houellebecq est "sans doute intéressant", mais pour Pierre Maury, interrogé par Europe1.fr, le compte n’y est pas. "Sur le plan littéraire, il y a quelque chose de pesant, il n’y a pas d’innovation. C’est comme s’il suffisait d’entreprendre une démarche d’écriture sur notre monde, et après on pourrait écrire n’importe quoi. Il n’est pas classique, il est quelconque", assène-t-il. Et "ça n’a rien à voir avec le personnage Houellebecq", tient à préciser Pierre Maury. "Il peut être énervant c’est vrai, mais ce sont ces livres qui m’énervent", ajoute-t-il. "Il se dit beaucoup qu’il est temps qu’il ait le Goncourt, mais s’il l’a, je ne suis pas sûr que ce soit pour de bonnes raisons", conclut le critique littéraire.
C'était un avis global sur une œuvre à laquelle je n'adhère pas. Manque d'adhésion confirmé par la lecture attentive de La carte et le territoire.
Comme il le fait souvent, Michel Houellebecq embrasse une thématique qu'il décline en thèmes secondaires, sur laquelle il construit un récit et plaque des réflexions.
Il est question d'art et de marché de l'art, de démarche créatrice et de représentation du monde. Jed Martin s'est fait connaître par des reproductions de cartes Michelin qui ont servi de support à sa première période et ont fait de lui un photographe coté. Dans une deuxième période, il devient peintre et produit une série de tableaux dans lesquels il introduit des personnes représentatives de la société contemporaine. Au début du roman, il bute d'ailleurs sur une toile dont il n'est pas satisfait, où il plaçait côte à côte Jeff Koons et Damien Hirst, à la manière dont il avait déjà rapproché Bill Gates et Steve Jobs. La dernière toile de cette période, point d'orgue de l'exposition au cours de laquelle ses œuvres vont s'arracher, est un portrait de Michel Houellebecq. Il y aura aussi, chez Jed Martin, une dernière période, dont le résultat ne sera connu qu'après sa mort: vidéaste, il filme des objets en décomposition et une nature triomphant de l'homme (pour le dire vite). C'est d'ailleurs, me semble-t-il, la part la plus intéressante de sa production.
Entre les trois époques, l'artiste se laisse vivre, périodes de latence pendant lesquelles il ne cherche rien et préfère attendre le retour de l'inspiration.
Tout cela ne va pas sans poser de multiples questions et induire des réflexions, comme je le disais plus haut.
A propos de la culture envisagée comme marché, c'est Michel Houellebecq - le personnage - qui fait la comparaison avec la durée de vie d'un appareil photo numérique:
«C'est un beau produit, un produit moderne; vous pouvez l'aimer. Mais il vous faut savoir que dans un an, deux ans tout au plus, il sera remplacé par un nouveau produit, aux caractéristiques prétendument améliorées.
«Nous aussi, nous sommes des produits...» poursuivit-il, «des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d'obsolescence. Le fonctionnement du dispositif est identique - à ceci près qu'il n'y a pas, en général, d'amélioration technique ou fonctionnelle évidente; seule demeure l'exigence de nouveauté à l'état pur. [...]»
Ce n'est pas faux. Mais ce n'est pas non plus très original. Pas davantage qu'au moment où Jed Martin s'interroge sur sa propre démarche:
[...] il se demanda fugitivement ce qui l'avait conduit à se lancer dans une représentation artistique du monde, ou même à penser qu'une représentation artistique du monde était possible, le monde était tout sauf un sujet d'émotion artistique, le monde se présentait absolument comme un dispositif rationnel, dénué de magie comme d'intérêt particulier.
Ouais... Ce genre de moment arrêté dans le cours du roman fait, pour les uns, le charme de Houellebecq. Charme discutable, selon moi, puisqu'il ne s'agit généralement que de ressasser des lieux communs, sans aucune innovation pour la pensée. Certes, on ne demande pas à un romancier d'être un penseur. Mais, dans le cas qui nous occupe, ce romancier entreprendrait, semble-t-il, de décoder le monde contemporain. Et pourtant, après avoir refermé le livre, ce monde semble devenu encore plus opaque, comme si aucune des explications proposées n'était la bonne. Il faut dire que des explications à l'emporte-pièce font rarement avancer le schmilblik...
Tout le monde a relevé, déjà, que Michel Houellebecq met en scène sa propre mort dans ce roman. Rien d'inédit, là non plus. Mais l'occasion d'introduire une énigme plus proche du polar destinée, peut-être, à alléger un livre touffu et, pour tout dire, étouffant. Dans le genre, il vaut mieux aller voir, comme un policier le conseille à un autre policier, du côté d'un Thierry Jonquet.
Reste ce qui fait, à mes yeux, la principale faiblesse de La carte et le territoire, déjà présente dans les précédents romans de Michel Houellebecq: l'écriture est lourde, appliquée, sans aucune aspérité ni inventivité.
Mais peut-être, au fond est-ce cela qui plaît, puisqu'on ne prend aucun risque littéraire en embarquant dans les quatre cent et quelques pages de La carte et le territoire...

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