dimanche 2 décembre 2012

Cinquante ans de Pocket et 10/18

En 1962, les collections de poche de littérature générale n’encombraient pas les librairies. Le Livre de poche dominait le secteur de la tête et des épaules, J’ai lu lui faisait à peine un peu d’ombre. Cette année-là, pourtant, naissaient 10/18 et Presses Pocket – qui deviendra Pocket. Les deux collections sont toujours là.
Si on jette un coup d’œil sur les 25 meilleures ventes de la semaine au format de poche selon Livres hebdo, on trouve Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson (3e), Remède mortel, de Harlan Coben (4e), L’équation africaine, de Yasmina Khadra (10e), L’appel de l’ange, de Guillaume Musso (14e), Petit traité de vie intérieure, de Frédéric Lenoir (17e), Les sirènes de Saint-Malo, de Françoise Bourdin (18e), Vertige, de Franck Thilliez (19e), L’étrange voyage de monsieur Daldry, de Marc Levy (20e), Les dieux voyagent toujours incognito, de Laurent Gounelle, tous publiés par Pocket. Et, chez 10/18, 1Q84, livre 1, ainsi que le Livre 2  du même roman, de Haruki Murakami (13e et 22e). Soit dix titres sur cette liste pour deux maisons devenues, sinon sœurs, au moins cousines comme le prouve, en illustration au bas de cette note, le rapprochement entre deux titres (grand format) publiés simultanément il y a quelques jours chez l’une et chez l’autre.
Pocket et 10/18 ne courent cependant aucun risque de se confondre à travers cette opération commune. Dès les débuts, chaque collection avait une identité particulière, une sorte d’empreinte génétique qui a certes évolué. Prenons les deux premiers titres de l’une et de l’autre, dont voici les couvertures.
Côté 10/18, un philosophe français du 17e siècle (il ne s’agit pas de la couverture originale, mais d’une réédition ultérieure). Côté Presses Pocket, comme on disait encore à l’époque, la novélisation d’un film américain par un romancier populaire de même nationalité. Le ton est donné. 10/18 est une collection pour étudiants et intellectuels, dans laquelle les sciences humaines occupent une place importante, davantage encore dès 1968 avec l’arrivée de Christian Bourgois à la barre éditoriale. Pocket s’adresse davantage aux amateurs de distractions, sans pour autant être une insulte à l’intelligence.
Il semble donc tout naturel de trouver aujourd’hui, pour en revenir aux meilleures ventes du début, le Japonais Murakami en 10/18 et, en Pocket, les auteurs français de best-sellers Guillaume Musso ou Marc Levy. Ils succèdent à Dostoïevski ou Marx et Engels, présents dans les dix premiers titres de 10/18, aussi logiquement qu’à André Castelot et Auguste Le Breton, deux auteurs qui avaient inauguré eux aussi le catalogue de Pocket.
L’image est cependant loin d’être figée, comme on le voit en feuilletant les brochures que les deux collections ont éditées à l’occasion de leur demi-siècle d’existence. Elles ont le même titre : Les 50 titres cultes, et elles donnent un reflet assez précis de ce que sont aujourd’hui les grandes tendances de chacune.
10/18 propose d’abord un de ses axes principaux, la littérature étrangère. On y croise des auteurs classiques, comme Jane Austen ou Virginia Woolf (deux femmes, deux Britanniques), des classiques contemporains surtout américains : Richard Brautigan, Armistead Maupin, Bret Easton Ellis, John Fante, Jim Harrison, Toni Morrison, Hubert Selby Jr., John Kennedy Toole, etc. D’autres écrivains viennent d’Inde, d’Europe du Nord, d’Irlande… Ces traductions représentent plus des deux tiers des titres déclarés « cultes », à côté desquels la littérature française semble bien pauvre, avec un seul titre de Philippe Besson. La dernière partie du catalogue propose quelques ouvrages du domaine policier, devenu un des fers de lance de la collection, avec d’abord quatre auteurs plongés dans le monde contemporain (avec ses turpitudes) et, pour finir, la plus belle réussite de la maison, les séries « Grands détectives ». La plupart sont historiques : Claude Izner nous entraîne dans le Paris de la fin du 19e siècle, Peter Tremayne dans le haut Moyen Age, Jean-François Parot dans les années qui précèdent la Révolution française, pour donner quelques exemples non limitatifs.
Chez Pocket, on a décidé d’oublier la barrière des langues. La première catégorie de la brochure, « roman contemporain » fait se côtoyer Marc Dugain et Nicholas Evans, Joseph Kessel et Douglas Kennedy, Jean Teulé et Stephen King. Le mot « contemporain » doit être compris dans un sens large, puisque Georges Bernanos, mort en 1948, entre encore dans cette catégorie, comme Aldous Huxley, disparu un an après la création de la collection. L’exploration se poursuit avec des thrillers dont la plupart, signés Dan Brown (Da Vinci Code), Maxime Chattam, Harlan Coben, John Grisham, Thomas Harris et d’autres, sont d’immenses succès de librairie. Les romans « féminins », puisqu’il existe une catégorie de ce genre, le sont tout autant, grâce à Danielle Steel ou Juliette Benzoni. Et la « S.F.-fantasy » est un secteur qui se porte à merveille, demandez aux lecteurs de J.R.R. Tolkien ou de Frank Herbert. Pocket, pas allergique aux documents, réédite des ouvrages de la collection « Terre humaine » ainsi que le livre capital de Primo Levi sur la Shoah, Si c’est un homme.

Un mot du présent, après avoir longuement évoqué les titres qui ont permis aux deux collections d’exister aujourd’hui encore. Ces deux ouvrages parus au début du mois, et dont nous reproduisons les couvertures, sortent du format « poche » habituel et comptent, ensemble, plus de 1700 pages. Impressionnant, certes. Le contenu l’est encore davantage. Cent reportages du quotidien Le Monde, qui vient de perdre son directeur de la rédaction, mort quasiment dans son bureau, à la tâche, et cent autres, lauréats du prix Albert Londres, sur les sujets les plus divers. Guerres et catastrophes sont au rendez-vous, bien sûr. Mais pas seulement. Deux exemples : en 2001, Eric Fottorino écrit pour Le Monde : Je suis un coureur, dernière des six étapes de la course cycliste du Midi libre, qu’il a toutes faites en vélo, partant avant les participants et terminant après eux ; en 1998, pour Libération, Luc Le Vaillant fait le portrait de Carla Bruni qui lui vaudra un prix Albert Londres – Nicolas Sarkozy l’avait-il lu ?

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