samedi 9 février 2013

En poche, la fin du gigantesque roman de Murakami

A la fin du livre 2 de 1Q84, Haruki Murakami avait pris le risque de décontenancer le lecteur. Tengo et Aomamé semblaient, depuis le début, destinés à se retrouver à l’âge adulte après avoir partagé une amitié dans l’enfance. Mais Aomamé, la tueuse d’hommes qui ont fait du mal, se suicidait sur le lieu qui l’avait fait passer de 1984 à l’année des deux lunes, 1Q84. Du moins commençait-elle le geste. Dès le deuxième chapitre du dernier volume, on se rassure : elle n’est pas passée à l’acte et l’espoir reste permis. Espoir assez mince, cependant : elle est cloîtrée dans un petit appartement, pourchassée par les Précurseurs, une secte dont elle a tué le leader, et il faudra beaucoup de chance pour que Tengo revienne observer les deux lunes sur le toboggan où elle est presque certaine de l’avoir aperçu un soir.
Un troisième personnage intervient, qui modifie le rythme binaire du roman : Ushikawa, le détective chargé par les Précurseurs de retrouver Aomamé. A défaut de renseignements sur l’endroit où elle se cache, il décide de suivre Tengo qui le conduira peut-être jusqu’à la meurtrière. Le chassé-croisé entre les principaux protagonistes dessine une trame géographique précise dans une époque incertaine où l’impensable devient concret.
Murakami joue de multiples registres dans un livre qui est à la fois sentimental, policier et fantastique, pour ne retenir que ceux-là. Il excelle dans chacun d’entre eux. Il excelle encore davantage à les mêler dans son vaste ensemble romanesque. Où la fin ressemble à ce qu’on attendait depuis le début. Où chaque branche d’un récit construit à partir d’un tronc très visible donne ses fruits, légèrement différents d’une branche à l’autre. Si bien que l’œuvre grandit en force autant qu’en volume. Comme Tengo, devenu écrivain en réécrivant le texte de La chrysalide de l’air, par ailleurs directement lié à la trame narrative, peut entreprendre un travail littéraire plus ample et plus personnel.
Il se passe quelque chose dans chacun des 31 chapitres. Et l’exploration des réactions les plus intimes par rapport aux événements en constitue l’essentiel. Relevons quelques-uns de ces événements prégnants. Le père de Tengo, qui fut collecteur de redevances de la NHK (radio et télévision japonaises), est dans le coma, et son fils lui fait la lecture lors de journées longues et pleines bien qu’étales. Un homme qui se dit collecteur pour la NHK vient frapper avec violence à la porte de l’appartement occupé par Aomamé qui ne manifeste pas sa présence, et crie qu’il reviendra. Le même, ou un autre, à moins qu’il soit le fantôme du père de Tengo, harcèle aussi Ushikawa. On apprendra à quel point la nuit où Aomamé a tué le leader des Précurseurs a modifié la vie de la jeune femme, d’une manière troublante pour un esprit rationnel.
De la rationalité, il vaut faire table rase avant d’ouvrir 1Q84. De manière à accepter les codes originaux d’un monde qui, pour ressembler au nôtre par bien des aspects, en est parfois très éloigné. La force de Murakami est de l’avoir rendu aussi présent que la réalité.

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