jeudi 14 mars 2013

Eric Reinhardt : les fruits amers de la passion

Au point de départ, c’est une rencontre qui tombe à un mauvais moment et par l’émotion de laquelle David n’aurait pas dû se laisser submerger. Bien sûr, elle lui a plu tout de suite, cette femme qu’il a croisée dans un centre commercial où il vient d’acheter une peluche pour l’anniversaire de sa fille. « Il y avait longtemps que je n'avais pas éprouvé une telle attirance pour une femme croisée par hasard. » Mais pourquoi, alors qu’on l’attend pour un dîner en famille, se met-il à la suivre ? Il a suffit d’un bref échange de regards, de l’impression qu’il a eue de lire dans ses yeux une vague approbation, pour qu’il se transforme en chasseur. L’observe pendant une heure dans un café. Puis dans une salle de bowling. Avant de se décider à l’aborder enfin avec une phrase qu’il prépare depuis trois heures. Et qui ne ressemble pas à ce qu’il avait prévu. Mais qui débouche sur une proposition de rencontre.
David, le chasseur. Victoria, la proie consentante. Le début d’une liaison torride, dans laquelle David abandonne tous ses principes – le premier d’entre eux consistant à ne jamais revoir les femmes avec lesquelles il a eu une relation sexuelle. Cette fois, l’attirance est trop forte et les divergences s’effacent au lit. David, directeur de travaux sur le chantier de la plus haute tour de France, penche, pour le dire vite, à gauche. Victoria, DRH monde de Killofer, un important groupe industriel, est à l’exact opposé : elle manipule sans remords les syndicats en Lorraine pour gérer l’abandon d’un groupe de production. La passion physique n’étant peut-être pas suffisante pour faire durer leur histoire, Victoria la pimente d’une ouverture vers un projet qui permettrait à David de revenir sur son terrain de prédilection – car il se rêvait architecte et c’est par défaut qu’il est chef de travaux : concevoir le nouveau siège social de Killofer. Avec sa position dans l’entreprise, elle se sent capable de convaincre le grand patron, affirme-t-elle…
La cohabitation, ou plutôt les moments intenses volés dans deux emplois du temps surchargés, reste fragile. Le projet architectural bat de l’aile en même temps que David découvre chez Victoria un système qui ne lui plaît guère : elle avance toujours masquée, chaque pan de vérité dévoilé révélant de nouveaux masques. Elle est capable de faire des « mensonges géographiques », faisant croire à son mari qu’elle est là-bas alors qu’elle se trouve ici. Elle n’a rien dit d’un ancien amant dont le rôle est peut-être encore actif. Et son goût pour le danger s’affirme de plus en plus, jusqu’au drame annoncé.
Roman de la plénitude du désir accompli, Le système Victoria est aussi le roman de la déception et du chaos qui s’installe à force de vouloir aller toujours plus loin. D’autant que David est en terrain miné : à ce qu’il ignore de la véritable personnalité de Victoria s’ajoute ce qu’il sait de la fragilité de Sylvie, son épouse. Elle a basculé autrefois dans une sorte de folie dont il craint qu’elle surgisse à nouveau et ce lien-là est peut-être plus fort que le désir.

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