mardi 28 mai 2013

Sylvie Germain et l'Académie : France 0 - Belgique 1

En janvier dernier, les amateurs de littérature croyaient naïvement que Sylvie Germain allait être élue à l'Académie française. Malheureusement (pour la littérature, pour l'Académie, pour Sylvie Germain), ce fut une élection blanche. Dominique Fernandez, avec qui j'en parlais un peu plus tard, était plus que désolé, presque en colère. Occasion manquée, dont on ne sait quand elle se représentera. Hier, cependant, les Editions Albin Michel, où la romancière est publiée après avoir commencé son oeuvre chez Gallimard, annonçaient une bonne nouvelle: l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique vient de choisir Sylvie Germain pour succéder à Dominique Rolin. Une grande dame dans le fauteuil d'une autre, c'est justice. Roger Grenier m'avait parlé de Sylvie Germain avant même la parution de son premier ouvrage, Livre des nuits. Il n'avait pas tort d'en dire grand bien...
On va remonter le temps avec un entretien de 1989, quand Sylvie Germain a obtenu le prix Femina pour Jours de colère, son troisième roman, alors qu'elle vivait à Prague, une ville en pleine Révolution de velours. Le Mur de Berlin était tombé depuis quelques jours.

Vous avez publié quatre livres dont trois, Le Livre des nuits, Nuit d'ambre et Jours de colère, ont une parenté évidente. Opéra muet est assez différent...
Opéra muet est différent, parce que c'est un récit bref dont la structure est tout à fait autre. C'est plus resserré dans le temps.
Est-ce que ce livre annonce chez vous une autre manière d'écrire?
Pas particulièrement. En ce moment, je travaille sur un quatrième roman qui est tout à fait dans le style et dans la veine des trois premiers.
En réalité, vous aviez commencé par écrire des nouvelles qui n'ont pas été publiées.
Oui, des contes pour enfants et des nouvelles. J'aime bien garder l'idée d'écrire des nouvelles. Actuellement, quand je commence à écrire, l'histoire se déploie presque fatalement dans le cadre d'un roman. Mais je ne considère pas qu'un des deux genres est supérieur à l'autre, ni exclusif. C'est selon le désir d'écriture à un certain moment.
Dans les trois romans qui forment l'essentiel de ce qu'on a lu de vous, il y a des constantes. C'est la violence, c'est la folie... Font-elles partie d'un monde imaginaire qui vous habite en permanence?
Je ne me rends pas tellement compte, dans ma vie quotidienne, de l'existence de ce monde imaginaire, parce que l'attention est requise par d'autres choses, par les gens, le travail, les obligations. C'est en écrivant. L'écriture devient un révélateur de tout ça et des constantes étranges apparaissent, qu'on retrouve aussi, d'ailleurs, dans les rêves nocturnes qu'on peut faire et dont on va garder la mémoire. Et c'est vrai que j'ai pu constater des constantes comme l'angoisse, la violence, l'emportement. Cela ne signifie pas que je vis avec cela dans ma vie éveillée, dans mes rapports avec les gens. Au contraire. C'est comme si l'écriture me permettait de me décharger de tout ce poids qui reste très enfoui, inconscient.
S'il y a choix, comment le faites-vous pour les paysages, les lieux? Ils sont très liés à vos thèmes: ce sont des forêts, des endroits très terriens...
En fait, je ne fais pas tellement de choix, pas plus que pour l'intrigue ou les personnages. Au début, je vois quelques images de lieux qui peuvent être tout à fait simples. En général, ce ne sont pas des lieux très exotiques, c'est la campagne française. Du coup, les personnages et l'histoire qui vont se mettre en mouvement progressivement, je ne peux pas les imaginer ailleurs. C'est toujours lié à des forêts, à des champs, à des prés, à l'odeur des animaux, alors que je vis dans des villes depuis maintenant presque vingt ans. Il faut croire que mon enfance passée en province m'a assez marquée pour que ça me revienne.
Dans Jours de colère, il y a aussi une inspiration presque mystique. C'est une manière de sortir de la noirceur des paysages?
Les paysages ne sont pas si noirs. La lumière d'un ciel change constamment. Il y a des trouées dans le ciel, et ce n'est pas nécessairement mystique. Cela peut être une sorte de paix, ou un certain bonheur amoureux.
Le désir de possession est particulièrement violent dans votre dernier roman...
Oui, mais le personnage de la vieille Edmée n'est pas du tout dans la possession. On n'a pas de prise sur elle, parce qu'on n'a pas de prise sur quelqu'un qui est pauvre dans son âme, dans son cœur et dans sa pensée. Qu'est-ce qu'on peut lui prendre? Rien.
L'écriture est un travail solitaire, mais le prix Femina fait de vous un personnage public. Comment le ressentez-vous?
Je suis surtout étonnée. Il y a un tel brouhaha autour que je ne me rends pas très bien compte. Ce dont je me rends compte, c'est qu'il y a un aspect collectif dans un prix. Bien sûr, les membres du jury décident en fonction de leurs goûts, mais il y a également le soutien d'une maison d'édition. Et je considère que différentes personnes, chez Gallimard, m'ont aidée à avoir le prix.
Cela va vous donner tout à coup beaucoup plus de lecteurs...
Bien sûr, mais c'est peut-être un peu artificiel. Le livre peut plaire ou non aux lecteurs, et je ne vois pas en quoi cela changerait ma manière d'écrire. C'est quelque chose d'extérieur, qui est lié au monde de l'édition.
Vous vivez à Prague depuis plusieurs années. Quand avez-vous quitté la Tchécoslovaquie?
Le week-end dernier. J'ai laissé Prague en effervescence.
Comment vivez-vous les événements qui secouent actuellement ce pays?
Je suis tout à fait concernée. Quand on est dans un pays, on s'y attache, surtout quand il a été complètement étouffé depuis vingt ans.
Est-ce que vous voyez les gens s'épanouir autour de vous?
Je le verrai surtout à mon retour, parce j'étais là quand ça a commencé, j'ai vu la progression du mouvement, comme un feu de forêt, à une vitesse prodigieuse, mais je suis partie le jour où c'était encore tangent. Finalement, c'est extraordinaire, ce qui s'est passé. Voir Havel et Dubcek devant la foule, c'est fantastique!
Cela fait quand même penser un peu à vos livres: il y a quelque chose de sombre, de gris, et tout à coup un éclair de lumière.
Oui, mais j'espère que cet éclair de lumière va durer. Ils ne peuvent plus revenir en arrière, je crois, mais un gros travail les attend...
Ces choses que vous vivez maintenant pourraient-elles vous inspirer un roman?
Je ne sais pas. J'ai du mal à être inspirée par des événements aussi actuels. Et même si je vis cela de très près, je reste malgré tout un peu en marge, parce que je ne suis pas tchèque. Et je considère que pour parler de tout ça, il y a des écrivains de là-bas, tout à fait excellents. Je me méfie toujours des discours des gens de l'Europe de l'Ouest sur l'Europe de l'Est. J'écrirai certainement un jour sur Prague, mais ce sera, comme toujours chez moi, très filtré par mon imaginaire, par des rêves, par des choses personnelles, et ça n'aura pas la prétention de parler directement du pays.

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