mardi 23 juillet 2013

Royal Romance plutôt que Royal Baby

Royal Romance, quatre ingrédients dans le verre, bien davantage dans un livre qui avait exigé un peu de patience au début de l’année dernière. Le premier roman de François Weyergans depuis son prix Goncourt de 2005 (« Trois jours chez ma mère ») et son élection, en 2009, à l’Académie française.
Fidèle à sa réputation, François Weyergans s’était fait attendre. Plus de six ans depuis son précédent roman, Trois jours chez ma mère, prix Goncourt 2005. Avec une date de parution retardée deux fois, de janvier à mars, le temps aussi de changer le titre puisque le livre annoncé comme Mémoire pleine était devenu Royal Romance. Le titre précédent évoquait, semble-t-il, la saturation d’une mémoire de téléphone. Celui-ci est le nom d’un cocktail dont raffole Justine : « moitié gin, un quart Grand Marnier, un quart fruit de la passion, un soupçon de grenadine ». Le voici réédité au Livre de poche.
Daniel Flamm a beaucoup aimé Justine qu’il a rencontrée à Montréal. Il se souvient d’elle et tente d’écrire pour comprendre ce qui est arrivé entre eux et à chacun d’eux, pourquoi leur histoire a eu lieu (« une expression qui tombe à pic : les lieux auront compté dans le récit  que je m’apprête à faire »), comment elle s’est achevée. Et ce qu’il en reste.
Le début du roman nous en dit un peu plus sur Daniel Flamm, écrivain devenu conseiller artistique d’une papeterie finlandaise dont le patron s’est entiché de lui. Sur le papier, il semble en savoir presque autant qu’Erik Orsenna – auteur d’un livre sur le papier, avec un goût pour le savoir encyclopédique pareil à celui de Flamm. Celui-ci a écrit un ouvrage sur le sel pour lequel il a couru le monde. Avec Weyergans et Orsenna, l’Académie française ne manque pas de curiosité. Ni, pour eux deux en particulier, de sujets de conversation.
Flamm ressemble encore bien plus à Weyergans. Il lui est arrivé de renoncer à écrire un livre à force de retard provoqué par sa fascination pour les informations qui l’envahissent. « L’actualité est l’ennemie de mon travail », écrit-il. Un écrivain serait-il donc condamné à vivre en ermite afin d’éviter les distractions qui le détournent de son travail ? Poser la question n’est pas y répondre. Car ces distractions, ingérées, digérées, deviennent une part importante de la matière romanesque, la part qui relie, pour le lecteur, la fiction au monde.
Repassons par le sel pour revenir à Justine. Celle-ci a inspiré l’héroïne du roman que Flamm consacre au sel : « la jeune femme qui aimait les films pornos, la Québécoise sur qui je vais écrire maintenant quelque chose qui serait à mes romans comme ces bonus qu’on ajoute aux DVD. » Sinon que, dans ce cas précis, le film original n’existe pas et il faut l’imaginer d’après ce qu’en dit la sorte de bonus.
Tout l’art de François Weyergans est là, sur une ligne de fuite qui conduit toujours plus loin en marge du livre qu’il ne fera pas. Le romancier pratique la procrastination pour réussir à en faire une dynamique créatrice. On vogue avec lui où il nous mène, qu’importe l’endroit pourvu que le voyage soit beau, qu’on en rapporte des souvenirs à la pelle.
Donc, parler longuement de Justine ici est peut-être superflu. Puisqu’elle est le sujet affiché du roman, l’essentiel est probablement ailleurs et sa présence est le catalyseur autour duquel s’organisent des éléments disparates. Les lieux, notamment, dont il était question plus haut, Strasbourg, Paris, Montréal. La littérature, de Sterne à Starobinski. La musique, le cinéma, le théâtre – disons-le quand même, Justine est comédienne quand Daniel la rencontre. Sans oublier l’amour, moteur du roman. Et quantité de détails précis, dont tous ne concernent pas le sel ou le papier, qui créent massivement un saisissant effet de réel.

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