samedi 26 octobre 2013

Michiel Heyns saisit Henry James au travail

Entre 1907 et 1909, pendant que se déroule le roman de Michiel Heyns, Henry James prépare l’édition américaine de ses œuvres complètes qui doit, pense-t-il, lui apporter gloire et fortune. Il sera loin du compte mais peu importe. Dans cette période de travail intense, l’écrivain ne se contente pas de corriger ses livres. Il leur ajoute aussi des préfaces destinées à éclairer le lecteur sur les intentions placées dans tel ou tel texte. Si bien que sa production d’alors est le socle théorique à travers lequel on peut le lire – un socle paradoxalement glissé a posteriori sous la construction…
Pendant ces presque deux années, Frieda Wroth (qui s’appelait en réalité Theodora Bosanquet) est la proche collaboratrice du maître. Elle est La dactylographe de M. James et son point de vue sur les événements sera le nôtre. Le lecteur est placé quelques marches sous le génie, contraint de le considérer de près mais en contre-plongée, ce qui en accroît la grandeur tout en montrant des détails moins glorieux. Frieda ne comprend pas, par exemple, comment cet homme acharné à terminer l’œuvre qu’il dicte se laisse convaincre par son frère William d’assister aux conférences que celui-ci donne à Oxford. Et moins encore comment il accepte d’être envahi par les visites de l’encombrante Edith Wharton – « Elle l’avait vue plusieurs fois, triomphale occupante de Rye – klaxonnant dans sa grande automobile, faisant cliqueter ses bijoux, riant sans modération, traînant Mr James autour du jardin comme un vieux chien qui a besoin d’exercice, donnant ses instructions à Mrs Paddington pour les repas, et même disant à Frieda quelle sorte de ruban acheter pour la Remington ».
Frieda ne se contente pas d’observer avec son œil vif, ni de précéder parfois, en esprit, les mots de Henry James lors de la dictée. Elle vit, aussi, et non sans ambitions. Elle est séduite par un jeune ami de l’écrivain, Morton Fullerton (il deviendra l’amant d’Edith Wharton), qui la manipule pour récupérer, dans les papiers de son employeur, des lettres compromettantes. Elle s’intéresse à la transmission de pensée, très en vogue à l’époque, pour laquelle elle manifeste des dons singuliers, les doigts courant alors d’eux-mêmes sur la machine afin d’établir un dialogue avec la personne absente…
Surtout, Frieda aimerait publier elle aussi des livres. Son imagination lui fournit une abondante matière romanesque, sortie de la plume habile de Michiel Heyns. L’écrivain sud-africain, probablement aidé par des études faites en partie à Cambridge, a parfaitement assimilé le contexte britannique dans lequel vivait Henry James, lui-même venu d’ailleurs puisque, faut-il le rappeler, il était américain. La dactylographe de M. James est un livre d’une grande intelligence à travers lequel se transmet la vibration continue qui anime un artiste au travail, vibration partagée par une dactylographe. Encore ne pense-t-on plus un instant, après avoir lu le roman, à définir Frieda par sa fonction.

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