mercredi 9 octobre 2013

Prix Nobel et boule de cristal

Chère cousine,

Il ne t'a pas échappé que cette semaine est celle des Prix Nobel et qu'il y en a un peu pour tout le monde. Je sais que, comme c'est le cas pour moi, la médecine, la physique et la chimie te passent loin par-dessus la tête. On pourra bien sûr discuter du Prix Nobel de la Paix après son attribution, tout le monde a le droit d'avoir un avis sur lui - et de penser que certains lauréats ont été choisis sans grand discernement. Imagine Poutine inscrivant son nom au palmarès cette année, comme le voudraient certains! Et le beau scandale qui suivrait... Ce serait aussi absurde que d'attribuer le Prix Nobel de Littérature à Paulo Coelho, tu sais, l'écrivain brésilien qui a écrit L'alchimiste et autres fumisteries fondées sur les bons sentiments revisités par une mystique tendance new age... Il a beau avoir vendu des millions (des dizaines de millions, probablement) de livres dans le monde, personne ne le prend pour un écrivain. Sauf peut-être ses lecteurs - encore un de mes avis que tu seras aimable de garder pour toi, je ne tiens pas à me faire agonir d'injures par celles et ceux qui le portent aux nues et qui en ont après tout bien le droit même si, je t'assure que j'ai fait des efforts (j'ai lu, en fait, plusieurs de ses ouvrages), je ne les comprends pas. Nous ne partageons probablement pas les mêmes valeurs...
Donc, Vladimir Poutine n'aura pas le Prix Nobel de la Paix, ni Paulo Coelho celui de Littérature. Tant mieux.
Cela ne te dit pas quel nom sera prononcé demain. Beaucoup sont appelés, un seul sera élu - quoique le partage ait déjà été pratiqué, mais c'est l'exception.
Le plus souvent, la surprise est totale et il faut voir l'air ahuri des journalistes littéraires, à l'heure de l'annonce, quand ils ne connaissent rien, ou presque, de l'Ouzbèke ou du Fidjien dont l'oeuvre, d'ailleurs, n'a pas été traduite en français, sinon quelques pages par-ci, par-là, dans des revues confidentielles tirant à cinquante exemplaires et lues par vingt personnes, dont les parents du fondateur qui se sentent moralement obligés de soutenir leur progéniture et attendent avec crainte, tous les trois mois (car ces revues sont généralement trimestrielles), le jour où leur fils, à moins que ce soit leur fille, leur apportera fièrement son dernier-né, qui est aussi parfois le dernier d'une courte lignée, la vocation de ces revues étant de disparaître après quelques numéros. On ne dira assez, je n'insisterai jamais comme je le devrais, sur l'immense travail de défrichage que font ces pionniers dans la jungle de la littérature mondiale, ou de la jeune littérature naissante, ou de la littérature écrite entre 1867 et 1869, aujourd'hui bien oubliée... Mais personne ne peut tout lire, même pas moi qui y mets pourtant du cœur, et les confidences de ces revues étant restée entre confidents, le journaliste littéraire, j'y reviens, souffle un grand coup, lâche un gros mot et écume les encyclopédies, sur papier ou sur la Toile, pour écrire les 3.000 signes commandés par son chef.
Peut-être serai-je dans cet état demain, nul ne peut prévoir l'avenir et moins encore un Prix Nobel de Littérature.
Heureusement (encore faudrait-il réfléchir à ce mot), ces dernières années, les grandes agences de paris ont intégré ce sport à ceux que pratiquaient jusque-là les habitués de leurs officines - et à présent de leurs sites -, de l'inévitable football au cyclisme en passant par le baseball, les courses de chevaux et de lévriers... On parie donc sur le lauréat du Nobel de Littérature ce qui, tu en conviendras, est du dernier ridicule mais il semble que certains y gagnent parfois un peu d'argent.
L'étude scientifique des cotes affichées par Ladbroke ou Unibet me semble aussi complexe que la compréhension du boson de Higgs - et que vient-il faire dans ce bazar? Quand même, je suis capable de comprendre que le Japonais - pardon, l'écrivain japonais - Haruki Murakami est en tête de liste dans les deux cas. Il me semble que c'était déjà la même chose l'année passée et que cela n'a pas empêché Mo Yan d'être couronné (ce dont j'avais toutes les raisons de me réjouir, non seulement parce que c'est un formidable prosateur mais surtout parce que j'avais lu plusieurs de ses livres et, tiens, voici sa photo, puisque tu as été assez patiente pour me lire jusqu'ici).
J'imagine mal Murakami recevoir le prix 2013. Non qu'il soit un écrivain médiocre, bien au contraire. Non que je ne connaisse pas son oeuvre - je l'ai même lue plus abondamment que celle de Mo Yan. Mais un Japonais après un Chinois? Je ne le sens pas...
Et les autres favoris des parieurs? Je ne sais pas... Alice Munro, Svetlana Alexievitch, Joyce Carol Oates, Peter Nadas, Assia Djebar, Ngugi wa Thiong'o? Il y en a même un dont je n'ai presque pas entendu parler, dont je n'ai rien lu - et j'ai probablement tort, mais j'en tremble déjà!
Une seule chose peut aider à voir clair: la remontée soudaine d'un outsider (oui, on parle de paris, j'utilise le langage des parieurs) peu de temps avant la proclamation, jeudi à 13 heures (heure suédoise, je ne connais pas le décalage horaire avec ce pays exotique - si, je viens de vérifier, c'est comme en France). C'est arrivé à Mo Yan l'an dernier comme à Tomas Tranströmer l'année précédente - et j'avais eu le temps de lire la moitié de son oeuvre complète (assez mince, il est vrai, surtout si on la compare à celle de Mo Yan) avant d'apprendre que l'Académie suédoise avait confirmé le choix des parieurs. Sauf si cela ne fonctionne pas exactement ainsi mais, après tout, quelle importance?
De toute manière, comment décider qu'un tel ou une telle est le meilleur écrivain du moment sur la planète? La question est absurde, pour le moins. Considère donc avec moi, si tu le veux bien, que nous aurons demain la confirmation d'un talent que nous connaissions déjà ou une belle découverte à faire.
Et que cela ne t'empêche pas de dormir.
Je t'embrasse, chère cousine.
ton cousin.

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