samedi 9 novembre 2013

Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard

Cette année-là, 1966, devait surtout être, pour Anne Wiazemsky, 19 ans, l’année du bac. Elle avait échoué en partie et devait passer, en septembre, un oral de rattrapage. L’affaire était prise très au sérieux dans une famille où manquait le père, décédé, et sur laquelle régnait la grande figure, si grande qu’elle en devenait un peu effrayante, de « bon-papa », François Mauriac.
L’année précédente, Anne a réussi, malgré tout, à tourner dans un film. Elle rêvait d’être actrice, c’est fait. Au hasard Balthazar, de Robert Bresson, où elle fait sa première apparition à l’écran, est même un événement. Roger Stéphane, qui l’a beaucoup aimé, lui consacre toute un numéro de Pour le plaisir, son émission de l’ORTF. Plusieurs cinéastes y témoignent de leur enthousiasme. Parmi eux, Marguerite Duras, Louis Malle ou… Jean-Luc Godard. Entre la jeune actrice et le cinéaste qui a déjà réalisé une quinzaine de films, il s’agit de la troisième rencontre, brève et aussi manquée que les deux précédentes : elle descend un escalier et se cogne contre lui, qui le monte. « Crétin ! Imbécile ! Idiot » crie-t-elle, avant de voir de qui il s’agit.
Elle a beaucoup aimé Pierrot le fou et Masculin féminin, il l’a remarquée depuis un an, avant même de passer sur le tournage d’Au hasard Balthazar. Dix-sept ans les séparent. Il a récemment divorcé d’Anna Karina. On lui prête une liaison avec Marina Vlady. Il a tout pour effrayer Anne qui lui écrit pourtant, sur les conseils d’un ami. Celui-ci lui a dit : « C’est un homme très seul, vous savez. » Contre toutes les apparences…
Leur première véritable rencontre est un étourdissement partagé. Il lui offre des quatuors de Mozart, Nadja, d’André Breton. Elle est sous le charme. Lui aussi, et depuis plus longtemps, lui explique-t-il, depuis qu’il a vu dans Le Figaro une photo du tournage de Balthazar : « Je suis tombé amoureux de la jeune fille de la photo. » Il est cultivé, drôle, il veut conquérir Anne et elle cède volontiers.
Trente-cinq ans plus tard, le roman autobiographique où elle raconte cette Année studieuse restitue l’allure virevoltante sur laquelle elle se déroule. Car les choses vont vite. Il faut quand même le réussir, ce bac – ce sera fait, en partie grâce à Francis Jeanson qu’Anne a rencontré lors d’un cocktail chez Gallimard, qui devient un ami puis, avec sa femme, les amis du couple. Francis Jeanson trouvera sa place dans le film qu’Anne tournera sous la direction de Godard, La Chinoise. A le voir aujourd’hui, il s’agit d’ailleurs à peu près de la seule scène intelligible. Le reste trempe dans les prémisses de mai 68. La faculté de Nanterre, où Anne s’est inscrite, s’emplit de discours sérieux et définitifs basés sur le vrai communisme, celui du Petit livre rouge de Mao. Sur le campus, on croise (dans le roman, pas dans le film) un étudiant rigolard et dragueur qui revendique la compagnie d’Anne en vertu de la solidarité des roux – il deviendra plus célèbre en 1968…
En juillet 1967, ils se marient en secret et en Suisse. Après la brève cérémonie et un verre de vin blanc au café le plus proche le maire leur dit au revoir : « A la prochaine, monsieur Godard ! » La phrase les amusera pendant des semaines. Peu de temps après, le Festival d’Avignon accueille une projection de La Chinoise, précédée d’une mémorable conférence de presse lors de laquelle Jean Vilar parle sans cesse de La Tonkinoise.
On rit beaucoup avec Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard. On oublie aussi leur différence d’âge : ce sont deux enfants qui s’ébrouent, heureux de vivre et de s’aimer.

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