samedi 23 novembre 2013

Les Tontons flinguent encore

Certes, Georges Lautner est mort mais Les tontons flingueurs sont toujours là.


Il existe, un peu partout dans le monde francophone, une sorte de secte informelle dont les membres, quand ils se rencontrent, se lancent à la tête des répliques comme : « Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Ou : « Dis donc, t’essaierais pas de nous faire porter le chapeau, des fois ? Faut le dire tout de suite, hein. Il faut dire : Monsieur Raoul vous avez buté Henri, vous avez buté les deux autres mecs ; vous avez peut être aussi buté le Mexicain, puis aussi l’archiduc d’Autriche ! » Ou encore : « On demande monsieur au téléphone. Un appel de Montauban. L’interlocuteur me semble, comment dirais-je, un peu rustique. Le genre agricole. » Et des dizaines d’autres, signées Michel Audiard aux dialogues d’après un roman d’Albert Simonin, mises par Georges Lautner dans la bouche de Lino Ventura, Bernard Blier ou Robert Dalban. Avec aussi, dans une distribution magique bien qu’en noir et blanc, Jean Lefebvre, Francis Blanche, Claude Rich…
Les tontons flingueurs, puisque c’est de ce film qu’il s’agit, sont devenus une œuvre mythique d’un cinéma français dont les têtes pensantes privilégiaient pourtant, à l’époque de sa sortie, une Nouvelle Vague portée par une critique unanime. Du coup, Les tontons flingueurs n’ont pas recueilli, en salles, le succès qu’on aurait pu leur prédire : moins d’un demi-million d’entrées en salles à Paris et sa périphérie en six mois d’exploitation. En revanche, depuis, leur carrière ne s’est jamais arrêtée, le DVD est une excellente vente et chaque passage à la télévision attire des téléspectateurs qui feraient une foule énorme si cela ne se déroulait pas dans l’intimité des foyers.
Pourtant, impossible de dire le contraire, le film a considérablement vieilli. L’argot des voyous nous est devenu presque incompréhensible, le noir et blanc est rédhibitoire pour bien des générations et l’intrigue est légère. D’où vient donc l’appartenance des Tontons flingueurs au cercle très restreint des films indémodables ? Du talent, voire du génie d’un réalisateur populaire, Georges Lautner, avec la collaboration de Michel Audiard, un dialoguiste capable de ciseler des phrases comme aucun être normalement constitué n’en concevrait mais qui frappent, touchent leur cible, créent un climat souvent étrange dans un monde décalé où chaque mot fait sens.
Certaines scènes méritent leur place dans des anthologies du cinéma. Au premier rang de celles-ci, la réunion des malfrats dans la cuisine, tandis que la nièce du patron fait, dans le reste de la maison, la bringue avec des amis de son âge. On sort une grosse bouteille d’alcool – bouteille historique : la fabrication de cette boisson de contrebande a été arrêtée parce que trop de buveurs étaient devenus aveugles (du « vitriol », dit même quelqu’un). Comme l’ambiance est à la bagarre, certains se demandent s’il ne s’agit pas de les empoisonner. On s’observe, on regarde les verres d’un air suspicieux, et quand même on boit. Et on re-boit. Et on re-re-boit. Si bien que la conversation, sans perdre de son pétillement permanent, devient de plus en plus vaseuse, que les corps vacillent, jusqu’au grand coup de colère du patron qui vire tous les fêtards à côté.
Cette autre scène : la nièce, amoureuse d’un musicien, fait venir le père de celui-ci au plus mauvais moment. La maison est attaquée par une bande rivale, et cela flingue dans tous les sens. Le père, personnage très correct et vice-président du FMI, ne se rend compte de rien, ou presque rien, grâce à de véritables entrechats entre les balles et leurs conséquences, grâce à la toux bruyante avec laquelle le patron tente de couvrir les coups de feu.

On rit beaucoup et souvent devant ce film vieux de cinquante ans. On en reprendrait volontiers pour cinquante années supplémentaires !

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