lundi 20 janvier 2014

Teju Cole à New York et à Bruxelles

On s’attend, après les premières lignes, à marcher beaucoup dans New York, et à découvrir la ville à hauteur d’homme. Ce sera en partie le cas. On s’attend moins à marcher dans Bruxelles. C’est pourtant ce qui arrive à Julius pendant les trois semaines qu’il passe dans la capitale belge à la fin de 2006. Il en profite pour se faire l’écho de tensions raciales qu’il découvre plus vives qu’à New York. Nigérian de peau assez claire, il croyait connaître tous les registres du mépris et du rejet. Et voilà qu’il est amené à les étendre à travers des rencontres au spectre très étendu, puisque cela va d’une amie du baron Empain au gérant d’une boutique de téléphonie. Celui-ci, Farouk, est farouchement politisé mais son discours est parfois plus verbeux que construit.
Les soixante pages bruxelloises, arrivées là parce que Julius a envie de retrouver sa grand-mère, servent aussi de point de comparaison entre une vieille ville européenne préservée des bombardements de la guerre et une immense cité nord-américaine dans laquelle deux tours se sont écroulées.
A New York, Julius est interne en psychiatrie. Les problèmes des personnes qu’il suit sont en lui comme s’il était une éponge. Semblable à cela à V., une de ses patientes, maître assistant à l’Université de New York et membre de la tribu Delaware, qui étudie les combats entre les Indiens du Nord-Est et les colons européens au 17e siècle. « La dépression de V. était partiellement due à l’impact émotif de ces études ». La marche lui permet de retrouver un équilibre, de voir la réalité autrement. Les oiseaux dont il observe le vol lui servent à envisager la ville comme une entité lointaine – et parfois dangereuse : ils sont nombreux à s’être écrasés sur la statue de la Liberté.
L’homme est aussi fragile qu’un oiseau. Le professeur Saito, que Julius voit souvent et pour qui il éprouve autant d’admiration que d’amitié, est devenu un vieil homme qui avance vers la mort avec sérénité. Julius sera moins serein quand il apprendra sa disparition. Ebranlé par les chocs quotidiens, le jeune homme résiste cependant parce qu’il a développé, depuis sa jeunesse au Nigeria, un instinct de survie qui l’aide dans les moments difficiles. La littérature et l’art appartiennent aussi aux moyens dont il dispose pour tenir, autant que possible, le monde à distance. Même quand une de ses marches aboutit à une agression nocturne…
Teju Cole, dont Open City est le premier roman, est aussi photographe de rue. Il a l’œil à des détails dont beaucoup nous échapperaient peut-être s’il ne les relevait pas dans son livre. La biographie de son personnage, proche de lui sans être tout à fait identique, la profondeur de sa pensée au milieu d’un mélange des voix et des races qui ne le surprend plus depuis longtemps, font de Julius un homme qu’on accompagne volontiers. Il ne se contente pas de vivre les événements, il leur donne aussi du sens.

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