lundi 10 février 2014

Le fantasme de la dangereuse immigrée

Dans la famille Torres-Thompson, on a enfoui loin la mémoire des origines mexicaines de Scott, devenu un véritable Californien. Et soumis, comme beaucoup d’Américains, à la pression d’une économie qui ne se porte pas très bien. Maureen et lui doivent réduire leur train de vie, licencier du personnel et ne garder avec eux, pour le ménage, la cuisine et s’occuper des enfants, qu’une Mexicaine. Araceli devient femme à tout faire. Sans papiers et payée au noir, Araceli a l’âme d’une artiste, ce qu’ignorent bien sûr ses patrons. Ils ne voient en elle qu’une auxiliaire utile, sans mesurer à quel point les services qu’elle leur rend sont considérables. Ils auront l’occasion de s’en rendre compte.
Ce sera pour la troisième partie du roman, quand Araceli ne sera plus là. Quand de vives tensions auront convaincu une partie de la population locale qu’elle est dangereuse. Alors que, suite à une dispute entre leurs parents, elle a cherché à mettre les garçons en sécurité en partant à la recherche de leur grand-père. L’absence simultanée de Maureen et de Scott est en partie provoquée par un malentendu, chacun des deux pensant que l’autre est resté à la maison. Seule Araceli, qui n’aime pas s’occuper d’enfants, est là pour faire au mieux.
Le nœud de Printemps barbare est resserré progressivement par Héctor Tobar, dont ce roman était le premier à paraître en français. Il piège en même temps Araceli et les Torres-Thompson, devenus les parties antagonistes d’un débat qui leur passe loin par-dessus la tête. La jeune Mexicaine est soupçonnée d’avoir enlevé les enfants mais l’accusation ne tient pas la route, ainsi que le comprennent celles et ceux qui se penchent sans a priori sur la question. En revanche, l’opinion publique, ameutée par des médias qui vendent du spectaculaire à tout prix, sans souci de chercher la vérité, se divise. Ceux qui hurlent le plus fort évoquent les menaces qui pèsent sur les bonnes familles américaines en raison de la présence massive d’immigrés illégaux. Les autres, qu’on entend à peine moins, dénoncent les conditions précaires dans lesquelles vivent ces mêmes immigrés, et leur rejet aux marges de la société. Tous les arguments sont bons pour les deux parties et qu’importe s’ils reposent sur des idées préconçues plutôt que sur la réalité.

Le romancier – d’origine guatémaltèque, il n’est pas inutile de le signaler – évite toute simplification. Les parents américains ne sont pas des monstres, Araceli n’est pas toute de perfection. Mais il montre comment il est facile de déraper quand on s’observe avec crainte.

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