mercredi 26 février 2014

Philippe Claudel guidé par les odeurs

Il faut relire souvent les pages d’A la recherche du temps perdu dans lesquelles Proust relate l’expérience de la mémoire vécue par son narrateur au moment où celui-ci, mettant en bouche un morceau de madeleine trempé dans du thé, est envahi d’un plaisir dont il cherche l’origine. En vain, d’abord, jusqu’à ce qu’il le rapproche d’un souvenir précis. D’où cette explication : « quand d’un passé ancien rien ne subsiste […], l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »
Philippe Claudel n’est pas Marcel Proust mais les odeurs le guident dans Parfums, avec les saveurs en prime, parfois. Le découpage est comparable à celui de François Bon dans Proust est une fiction qui paraissait presque en même temps (va-et-vient constant entre les lectures), une soixantaine d’entrées, et l’organisation est bien visible, l’ordre alphabétique, ce qui permet bien sûr de n’en faire qu’à sa guise.
L’auteur ne s’en prive pas, d’« acacia » à « voyage ».
Le premier évoque d’abord une couleur et glisse à bicyclette vers les copains d’autrefois en fermant les yeux pour retrouver, nous y sommes, le « parfum des pétales » aussitôt associé à la « joie fébrile que chaque printemps apporte de nouveau. »
Le dernier passe par Baudelaire et une multitude de villes où l’on respire « l’haleine des pays nouveaux » en général ou, en particulier, les « blonds entassements capiteux » du marché de Diyarbakir pour se focaliser sur deux lieux auxquels l’auteur, où qu’il soit, fait ses premières visites : l’église, en pays chrétien, où il retrouve « partout la même odeur de pierre froide, de cire, de myrrhe et d’encens », et le marché, où il sent « l’âme d’une terre et la peau des hommes, le fruit de leur travail dans un étourdissant mélange d’odeurs effroyables et délicieuses, de graisse crue ou grillée, de citronnelle, de coriandre coupée grossièrement aux ciseaux, de fiente d’oiseaux captifs », etc.
Variations de fragrances jetées en travers du chemin pour recouper les méandres de la mémoire, ou catalogues de parfums jusqu’à l’épuisement et la diminution du sens olfactif ? Le livre hésite entre les deux si bien qu’il perd un peu de la consistance qu’on lui trouve de temps à autre et qui aurait été bienvenue dans toute sa longueur. Philippe Claudel s’est, sans nul doute, fait plaisir. Au risque d’oublier son lecteur en route quand il néglige de lui ouvrir la porte de plaisirs très personnels.

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