dimanche 30 mars 2014

Claude Izner et la dernière enquête de Victor Legris

Même les séries policières ont une fin, pour autant que les auteurs le décident. Liliane Korb et Laurence Lefèvre, les deux sœurs qui signent d’un pseudonyme commun, Claude Izner, terminent donc les enquêtes du libraire Victor Legris avec Le dragon du Trocadéro.
Ce douzième épisode est construit en forme d’itinéraire dans le Paris 1900 de l’Exposition universelle où se pressent les touristes du monde entier. Itinéraire fléché à un double titre, puisqu’il faudra retrouver la trace d’un mystérieux bateau et parce que les victimes sont tuées par des flèches. Victor Legris, sorti une dernière fois de sa librairie, hume le mystère et met son talent au service de son élucidation. Comme dans les autres volumes, la reconstitution de l’époque est le point fort du roman.
Choisir un libraire comme héros d’une série policière, c’est peu banal. Votre expérience personnelle était-elle la première raison de ce choix ? Ou y avait-il autre chose ? Par exemple, le plaisir de citer des livres parus au moment des événements ?
Pourquoi avoir fait du héros de nos « Mystères parisiens » un libraire ? Tout simplement parce que nos parents étaient bouquinistes sur les quais de Seine, que Liliane a exercé ce métier pendant trente ans (après avoir été chef-monteuse de cinéma), et que Laurence tient un étalage de bouquiniste depuis quarante-deux ans. Comme nous avions déjà fait du personnage central de notre premier roman policier un bouquiniste, nous avons opté, quand nous avons écrit Mystère rue des Saints-Pères, pour la profession de libraire. La librairie « Elzévir » est inspirée de celle que tenait le père de l’écrivain Anatole France, une librairie « à chaises » où les amateurs de livres consultaient les ouvrages de leur choix et devisaient, sans obligation d’achat. Cela nous permet de citer des volumes anciens, des parutions « fin-de-siècle », toutes sortes de vieux bouquins qui nous tiennent à cœur. Après tout, on ne parle bien que de ce que l’on connaît !
Vous aviez d’abord publié Sang dessus dessous, un roman à intrigue, lié lui aussi au monde de la librairie, plus proche de notre époque. Trop proche pour vous ébattre à l’aise dans la fiction ?
Sang dessus dessous a été notre première incursion « en tandem » dans la littérature policière destinée aux adultes. Il se situe pendant la période où nous l’avons écrit, en 1998. Nous avons tiré un plaisir énorme de son élaboration, parce que nous évoquions notre quotidien, des faits divers dont nous avions été témoins et que nous avions notés dans nos calepins, des événements de l’époque, et que nous donnions libre cours à notre imagination plus encore que dans les vingt romans pour la jeunesse écrits précédemment. Sans doute eussions-nous poursuivi sur cette lancée sans des refus éditoriaux qui nous ont poussées sur une autre voie. Victor Legris est né en 2000 et nous a permis de nous adonner à un autre de nos penchants, la recréation d’une ambiance passée, en l’occurrence celle du Paris « fin-de-siècle ».
La série, qui se termine, dit-on, est encadrée par deux Expositions Universelles. Parce que ce sont des moments où le monde entier se presse à Paris encore davantage qu’à d’autres romans ? (Jonathan Coe a fait un peu la même chose pour Bruxelles avec Expo 58, récemment.)
Dans un recueil de nouvelles pour enfants paru chez Castor-Poche Flammarion en 1998 et intitulé Neuf récits de Paris, la dernière histoire met en scène la « naissance » de la Tour Eiffel. Après nos récits destinés aux 8-12 ans, nous avons osé aborder le polar historique. Débuter par l’Exposition Universelle de 1889 fut un choix déterminé par notre attirance pour les dernières années du XIXème siècle, si lointaines et si proches de notre aujourd’hui, avec l’apparition de nombreux « ismes » : colonialisme, syndicalisme, anarchisme, marxisme, féminisme, antisémitisme, naturalisme, symbolisme, japonisme, cosmopolitisme… Lorsque Emmanuelle Heurtebize,  notre éditrice d’alors, accepta en 2001 notre premier tapuscrit, et nous a encouragées à écrire une série, nous avons eu l’idée d’accompagner nos personnages de l’Exposition de 1889 à celle de 1900. Ces Expositions Universelles ont été de grandes vitrines des découvertes scientifiques et guerrières préfigurant celles du XXème siècle. En 1889 se dresse le phare de la Tour Eiffel, symbole du fer français. 1900 voit rayonner la Fée Electricité. A l’horizon se profile la grande boucherie de 14-18…
Au fil des enquêtes, Victor Legris ne s’est-il pas un peu éloigné de sa profession principale ?
Victor Legris est et demeure un libraire, bien que sa passion pour la photographie puis pour le cinématographe, inventé en 1895 par les Frères Lumière et brillamment utilisé par Georges Méliès notamment dans le domaine de la fiction, occupe de plus en plus ses loisirs. Néanmoins, son goût pour les éditions rares perdure. Chacune de ses enquêtes ne le détourne de son métier que deux ou trois semaines par an, d’où l’impression qu’il peut donner de « faire la librairie buissonnière » ! La lecture est aussi un des ses passe-temps favoris, et, dans Le Dragon du Trocadéro, il savoure Trois hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome, dont il apprécie l’humour.
Pourquoi arrêter la série ? Par lassitude ? Envie de faire autre chose ?

Nous avons, dès le début de la série, annoncé qu’elle irait d’une Exposition Universelle à l’autre, au rythme d’une enquête par an : donc, douze romans. Ce chiffre, hautement symbolique (12 travaux d’Hercule, 12 tribus d’Israël, 12 heures de la journée, 12 mois de l’année, 12 signes du zodiaque, etc.) nous paraissait devoir être bénéfique. C’était un défi que nous nous lancions à nous-mêmes ! Nous n’avons jamais remis en cause le terme des aventures de Victor en 1900, même si cela nous fait de la peine de quitter son petit monde. Nous ne sommes pas lasses, nous sommes satisfaites d’avoir mené cette entreprise à bon port. Et maintenant, nous éprouvons le désir de créer de nouveaux personnages dans un Paris plus proche de nous, ancré dans le vingtième siècle. Un nouveau défi. La vie, c’est le changement !

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