vendredi 16 mai 2014

Jonathan Tropper se rit du désespoir

On apprenait hier, dans un article du Figaro littéraire consacré à un ouvrage de Dominique Noguez (La véritable origine des plus beaux aphorismes), que nous nous trompions sur les auteurs de nombreux mots célèbres. Dont celui-ci, qui s’applique parfaitement à Une dernière choses avant de partir, le roman de Jonathan Tropper réédité en poche : « L’humour : la politesse du désespoir ». Qui aurait pu dire en effet que le cinéaste Chris Marker avait été le premier à proposer cette phrase ? Mais aussi, à qui l’aurions-nous attribuée ? A un humoriste, certainement…
Jonathan Tropper est un humoriste et le prouve une nouvelle fois dans Une dernière chose avant de partir. Cela commence ainsi : « C’est mardi. Dans un peu moins de trois semaines, sa femme va se remarier, et d’ici quelques jours, Silver décidera, provisoirement, que la vie ne vaut pas nécessairement le coup d’être vécue quand on l’a aussi peu réussie que lui. Cela fait maintenant sept ans et quatre mois, environ, que Denise a demandé, et obtenu, le divorce, pour tout un tas de raisons fondées, et plus ou moins huit ans que son groupe, The Bent Daisies, a sorti son seul album, dont l’unique tube – « Rest In Pieces » – a fait d’eux des rock stars du jour au lendemain. »
Silver n’a plus guère de raisons de vivre et, au fond, il accueille presque avec soulagement l’annonce de sa mort prochaine, conséquence logique d’une artère défaillante qui se prépare à le lâcher et à précipiter sa fin. A moins de passer sur le billard pour réparer tout ça. Mais il n’en a pas la moindre envie. Il trouve plus logique d’aller jusqu’au bout de l’échec que représente toute son existence et de disparaître aussi discrètement qu’il a vécu.
Au fond du trou où il végète – ce trou est une résidence qui s’était, autrefois voulue de luxe, et qui est devenue le cul-de-sac dans lequel se retrouvent d’autres ratés de son espèce –, Silver voit néanmoins poindre une petite lumière : sa fille, avec laquelle on ne peut pas dire qu’il entretenait des relations chaleureuses, a un problème et vient lui en parler plutôt qu’à sa mère. Marque de confiance touchante qui signifie peut-être quelque chose en plus : il y a donc encore, sur cette planète, quelqu’un qui aurait besoin de lui ?
Disons-le tout net : Silver est un type insupportable, toujours prêt à faire un pas de travers plutôt qu’à rester logique, ne serait-ce qu’avec lui-même. Mais c’est en cela qu’il est drôle dans son désespoir. C’est peut-être même la raison pour laquelle son ex-épouse se trouve à nouveau séduite par lui – pour un soir, un soir seulement, mais quand même…
Jonathan Tropper possède un grand talent pour embrouiller des situations qui pourraient être simples. Si elles étaient simples, elles nous intéresseraient évidemment beaucoup moins. Tandis que, traitées ainsi, elles deviennent les aventures trépidantes d’un humain égaré parmi les siens, ou à côté des siens, et dont on se demande s’il va finir par se laisser mourir ou accepter, malgré tout, de se prolonger pour quelques années.

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