jeudi 1 mai 2014

Pierre Assouline, Prix du Salon du Livre de Genève

Pierre Assouline commence Sigmaringen à peu près là où Antoine Blondin terminait L’humeur vagabonde par cette phrase : « Un jour, nous prendrons des trains qui partent. » Elle devient, en ouverture : « Un jour, nous avons recommencé à prendre des trains qui partent. » Julius Stein, majordome au château de Sigmaringen, prend un de ces trains pour rendre visite, en France, à Jeanne Wolfermann.
Ils se sont connus pendant l'étrange période où les débris du régime de Vichy ont trouvé refuge en septembre 1944 dans ce bout d’Allemagne devenu, le temps d’un exil provoqué par l’avancée des armées alliées, territoire français. Il y a là Pétain, Laval, des ministres, des journalistes, des collaborateurs de diverses espèces. Il y a aussi Louis-Ferdinand Céline, qui décrira le lieu, dans D’un château l’autre, comme « fantastique biscornu trompe-l’œil », en précisant le nombre des exilés : 1142. Parmi lesquels Jeanne, donc, en charge du personnel français au service des membres d’un gouvernement qui croient encore, pour une partie d’entre eux, avoir les moyens de peser sur les événements à venir.
La documentation de Pierre Assouline est solide, on peut lui faire confiance. La confiance est renforcée encore par l’énumération de ses nombreuses sources en fin de volume. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait l’impression d’y être, dans le dédale d’une bâtisse prestigieuse et ancienne où l’occupation des étages, des pièces et des couloirs, où l’usage de l’ascenseur sont prétextes à conflits entre les personnes. A travers ces conflits domestiques additionnés de caprices ou de vols, les caractères des uns et des autres se révèlent mieux encore que par leurs positions sur un échiquier politique très instable. La vie est présente au château et dans la ville voisine, avec ses différentes facettes.
On doit l’impression de vérité à un narrateur de fiction aux qualités multiples, dont le sens de l’observation n’est pas la moindre. Julius, au service des princes de Hohenzollern avant l’arrivée des Français, est un homme de principes rigoureux. Il ne lâche rien, ses blessures personnelles sont soigneusement masquées et il faudra attendre  que s’établisse une plus grande intimité entre Jeanne et lui pour qu’il révèle sur quoi est bâtie son inflexibilité. On découvre alors, sous la figure rigide du majordome, celle d’un résistant de la première heure, à sa manière. Noble et pas la moins efficace, grâce au pouvoir symbolique de la musique.
De la part d’un Pierre Assouline, non seulement grand connaisseur de la collaboration mais aussi porté sur les mystérieux mécanismes de la littérature, on espérait trouver un portrait de Louis-Ferdinand Céline qui sorte des clichés habituels. On n’est pas déçu. Entre le médecin qui achète des médicaments pour les distribuer, l’homme habillé de « deux canadiennes superposées qui ne tenaient que par leur crasse fermées par une ficelle pour toute ceinture » ou celui qui engueule Léon Degrelle venu faire une conférence, les contradictions ne s’expliquent pas seulement par « un léger grain ».

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