mardi 11 novembre 2014

La face cachée des hommes

Tricher, mentir, passer aux yeux des autres pour ce qu’on n’est pas. Voilà le programme des personnages de Nos gloires secrètes, six nouvelles que Tonino Benacquista n’a pas rassemblées par hasard. La cohérence est parfaite et l’effet en est amplifié par les talents de narrateur que l’on connaît au romancier de Saga, Malavita ou Homo erectus, pour ne citer que quelques titres dans une imposante bibliographie.
On entre avec « Meurtre dans la rue des Cascades », la première nouvelle, au cœur du propos. Ou plutôt là où les choses semblent se passer, c’est-à-dire à la surface : « Je suis l’homme de la rue. Pour le prince, je suis la plèbe. Pour la vedette, je suis le public. Pour l’intellectuel, je suis le vulgum. Pour l’élu, je suis le mortel. » Un homme comme tout le monde, en somme, couleur grisaille, un médiocre qui passe inaperçu. Mais, en réalité, le personnage d’un roman de Simenon, dont l’insignifiance cache quelque chose.
Maigret l’aurait compris. Benacquista laisse à son narrateur le soin de raconter comment, cinquante ans plus tôt, il est devenu un héros négatif en tuant, une nuit d’ivresse, son compagnon de beuverie. Pendant tout ce temps, il s’est tu parce qu’il ne voulait pas décevoir sa femme pour qui il était le meilleur des maris. Elle vient de mourir, il peut, malgré la prescription, s’alléger de sa culpabilité. Celle-ci a été une compagne fidèle à laquelle se joignait une certaine fierté.
Car l’affaire de la rue des Cascades a fait grand bruit dans la presse en juillet 1961 : tombé d’un toit, le corps de la victime a traversé la verrière sous laquelle une starlette se livrait à des ébats probablement illicites avec un inconnu (on le suppose marié). Les années passant, l’assassin (il avait écrasé les doigts de son compagnon qui se retenait à une corniche) a constaté que l’intérêt pour cette énigme non résolue ne retombait pas : une émission de télévision, un livre, un film… Paré de l’aura propre aux coupables impunis, le narrateur a cru plusieurs fois qu’on allait lui voler la vedette, quand un inconnu se dénonçait, mais chaque fois disculpé.
Visage d’ange, cœur de démon, tel est le profil décliné dans les cinq autres nouvelles – où il n’y a pas d’assassin, cependant. On rit à la confrontation du riche compositeur de chansons à succès qui vient ouvrir un compte dans une petite agence bancaire et raconte sa vie au directeur alors que celui-ci attend le résultat de sa fille au bac. Jusqu’à la chute, en tout cas. « Le parfum des femmes » offre à un « nez » créateur de fragrances célèbres l’occasion de respirer une odeur exceptionnelle. Et on voudrait les raconter toutes, en particulier la dernière, mais nous vous en laissons tout le plaisir de la découverte.

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