lundi 20 avril 2015

Jean Rolin, romancier géographe

Jean Rolin observe le monde sous plusieurs angles simultanément. Il est un géographe transversal, comme dans Un chien mort après lui, ou il pratique l’épuisement d’un lieu, presque à la Georges Perec – Los Angeles dans Le ravissement de Britney Spears. L’espace et le temps se confondent en un voyage (L’explosion de la durite) ou dans la préparation du voyage (Terminal frigo). Il construit, entre récit et roman, une œuvre caractérisée aussi par l’extrême précision de son écriture.
Ormuz est un de ses meilleurs livres. Le nom du détroit, par lequel transitent « environ 30 % de la production mondiale d’hydrocarbures, ou plus précisément de la part de celle-ci qui est acheminée par la voie maritime », fournit la donnée géographique. Et même, dans ce cas, géostratégique, comme le prouvent les manœuvres d’intimidation presque incessantes auxquelles assisteront les deux personnages principaux, à travers un jeu de « guerre navale asymétrique » entre, pour le dire vite, l’Iran et les Etats-Unis. Le prétexte romanesque est fourni par Wax, qui n’est plus de première jeunesse mais qui s’est mis en tête de traverser le détroit à la nage. Pas sûr qu’il en soit capable physiquement, moins sûr encore qu’il soit possible de lever les multiples obstacles diplomatiques qui s’opposent à son projet. Inutile d’ailleurs d’installer l’artifice d’un suspens qui n’existe pas, annulé dès les premiers mots : « Après sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à l’hôtel Atilar afin d’y inventorier ses affaires. » C’est dit, l’affaire est mal barrée…
Plutôt que Wax, voué à la disparition, bien que le doute revienne à la fin, c’est le narrateur qui retient toute l’attention. Chargé d’aplanir quelques difficultés insurmontables, et qui le resteront, ce narrateur est une sorte d’assistant chargé de missions ponctuelles, souvent abandonné à lui-même et à un esprit d’indécision qui lui va bien. D’autant que ces temps de latence lui permettent d’exercer sa curiosité, le genre de curiosité qui ressemble à celle de Jean Rolin : une scrupuleuse attention à certains détails, élus en vertu d’on ne sait quels critères, et beaucoup de flou autour. On croirait un regard de myope obligé de s’accrocher à ce qu’il voit pour ne pas perdre pied dans ce qu’il ne voit pas, ou moins bien. Cette manière d’accommoder sans cesse, comme le fait un œil, fournit à l’écriture un moteur d’une redoutable efficacité. Toute en pleins et en déliés, en moments compacts et en creux, elle appelle le questionnement à travers ses failles construites en labyrinthe. De ce labyrinthe, Jean Rolin a habitué ses lecteurs à ne jamais sortir tout à fait. Il restera un peu de chacun de nous dans le détroit d’Ormuz, où nous croiserons Jean Rolin, à moins que ce soit ses personnages.

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