dimanche 5 avril 2015

Philippe Delerm et la fragilité

La bibliographie de Philippe Delerm occupe plusieurs pages. Avec, dans l’ordre chronologique, un sixième livre paru en 1997 qui reste celui dont on lui parle le plus tant son succès a été spectaculaire : La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. Dix-huit ans plus tard, c’est encore de cet ouvrage qu’on a d’abord envie de lui parler, pour savoir si, à force, il n’est pas irritant de se voir ramené toujours à un seul titre. Philippe Delerm est serein : « J’aurais mauvaise grâce à me plaindre du fait qu’on me parle toujours de La première gorgée de bière car ce livre a fait connaître tous mes livres précédents et permis de construire une carrière d’écrivain. »
Des « plaisirs minuscules », qu’il a appelés aussi « nourritures délectables », « voluptés sportives » ou « petites phrases qui en disent long », l’écrivain en récolte sans cesse, de quoi donner de temps à autre la matière d’un volume. Et de fournir des pages qu’il glisserait dans un roman ? « Non ! Je n’insère pas des “fragments courts” dans mes romans car les atmosphères sont liées à la nécessité de l’histoire en cours. »
Philippe Delerm, en connaisseur de l’athlétisme, module le souffle en fonction de la distance à couvrir. Souffle court pour les fragments, souffle long pour un roman comme Ellemarchait sur un fil. Comment le genre s’impose-t-il ? « Le choix d’écrire un roman est un projet que l’on porte longtemps en soi. C’est particulièrement vrai pour Elle marchait sur un fil qui réunit des problématiques qui m’ont accompagné toute ma vie. »
Marie, « elle » dans le titre, attachée de presse free-lance pour l’édition parisienne, est une femme libre – malgré elle. L’homme de sa vie l’a quittée et elle se demande si elle ne se prépare pas un avenir semblable à celui qu’elle voit chez les joueuses du casino, avec un emploi du temps sans aucune surprise, le jour suivant ressemblant au jour précédent, jusqu’à la fin. Pour la distraire de l’ennui, elle compte un peu sur son amie Agnès, qui a ouvert une galerie de peinture-salon de thé sur le port breton de leurs étés. Et encore davantage sur sa petite-fille Léa, sur qui elle pourra peut-être reporter les espoirs de carrière artistique que son fils a en partie abandonnée.
Au fond, Marie est disponible pour un nouveau projet. Cela convenait au romancier qui aurait pu exploiter les manques ressentis par son héroïne : « Je n’ai pas cherché à fouiller une blessure mais à donner à Marie, mon personnage, une solitude qui lui permette de tenter de réaliser le projet artistique fondamental qu’elle porte en elle. »
Elle rencontre des jeunes qui veulent monter un spectacle, un élan la pousse vers eux, vers l’écriture, vers un soutien qui devient investissement total. Au point qu’elle abandonne en cours de route une romancière dont elle a lancé le premier livre devenu un succès annoncé. Plus rien ne compte que de réussir le spectacle, trouver une salle, un public, garder la cohésion du groupe… Voilà, elle s’est trouvé un support pour ses réserves d’enthousiasme. Qu’en restera-t-il si le projet échoue ? « Il y a un risque très grand à vouloir s’épanouir en réalisant ses rêves. C’est tout le sujet de ce roman dont la fragilité du fil est la métaphore », explique Philippe Delerm.
Tirerons-nous une morale de cette histoire ? L’auteur ne le souhaite pas : « Mon regard n’est pas celui d’un moraliste mais, je pense, celui d’un humaniste qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. »

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