vendredi 24 avril 2015

Pierre Jourde et le village en colère

Dans La première pierre, Prix Jean Giono, Pierre Jourde analyse l’affaire qui a suivi la publication de Pays perdu, en 2003. Quand il revient au village dont il parlait dans ce livre, l’écrivain, sa femme et ses trois enfants font face à la colère de quelques habitants qui dégénère en violence, à la limite d’un lynchage qui aurait peut-être eu les pires conséquences si les choses s’étaient passées encore un peu plus mal.
Parlant de lui à la deuxième personne, l’écrivain revient sur l’affrontement qu’une partie de la presse a présenté comme une rébellion de ses personnages contre celui qui s’était emparé d’eux. Contre leur gré. En les dénigrant, les diffamant, pensent-ils – ils citeront comme preuves des citations du livre devant le tribunal, mais ces citations sont peu convaincantes, à moins de considérer, comme le fera un journaliste, que le noir est une couleur négative. Ou de comprendre que Pierre Jourde a parlé d’un « pays de merde » alors qu’il décrivait « le pays de la merde » (celle des vaches, pour l’essentiel) avec une affection certaine pour les souvenirs laissés par ces déjections.
Dans La première pierre, il raconte donc les événements. Ou plutôt comment il les a vécu, dans les premiers instants : les mots, la castagne, la peur, les jets de pierres, la fuite. Puis les plaintes réciproques et la justice. Il cherche à comprendre où a pu se nicher le malentendu qui a débouché sur ces événements. Comment la complexité de la littérature, si travaillée soit-elle, échoue parfois à faire sentir ce qu’elle s’efforce de restituer. Et pourquoi des réactions aussi violentes. Il est peut-être, probablement, proche de la vérité quand il explique qu’il a livré un secret sans importance pour lui, mais pas pour les autres.
« Mais ce langage de la complexité est toujours menacé par la sécheresse, la complaisance, le narcissisme ou le pittoresque, ce pittoresque que tu voulais à tout prix éviter en écrivant le livre. Il a besoin de se replonger dans la source de silence et d’obscurité, où les choses n’ont pas encore pris leurs formes, où l’être n’est pas encore l’être, et tient repliés contre lui le passé et l’avenir, dans la quiétude de ce qui n’est pas. Le secret est ce vide intérieur où le dire trouve son énergie. Le langage littéraire, dans l’idéal, pourrait être celui qui, dans la révélation, préserve l’obscurité du secret. Ramène Eurydice au jour avec toute l’épaisseur de l’obscurité dont il la tire. »
Un livre – un livre ! – a provoqué des vagues disproportionnées. Un autre livre tente d’en expliquer l’origine. Dans le travail sur la langue qui fait toute la singularité de l’œuvre de Pierre Jourde.

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