vendredi 29 janvier 2016

En rayon: Roger Nimier, le meilleur d'entre eux?

Hussards... Peut-être le détour vers Roger Nimier, dont je retrouve Histoire d'un amour, paru en 1953 chez Gallimard (je n'étais pas né), s'est-il fait par l'intermédiaire de Frédéric Vitoux qui, parlant de Barbara Skelton dans son tout nouveau Au rendez-vous des mariniers (Fayard), repasse par la case Bernard Frank, l'inventeur de ce mouvement qui, comme beaucoup d'autres, n'en était pas un. Toujours est-il que Roger Nimier, occupe, au sein de cette communauté approximative, une place singulière et que Les épées, roman lu il y a très longtemps, reste très présent dans ma mémoire incohérente de lecteur. Pourquoi donc ne me suis-je pas jeté sur les autres livres de Nimier? Pas eu l'occasion? Pas envie d'être déçu par un autre titre? Franchement, je n'en sais rien. Mais, retombant aujourd'hui sur Histoire d'un amour, je caresse l'idée de m'y remettre. On va commencer par la première page...

Les lourds chariots sortaient de la nuit, les bœufs pataugeaient et une jeune fille, pâle comme la mort, fixait les brouillards qui encombraient le ciel, comme une autre boue. Le convoi gravit la petite colline couverte d’arbres, le chemin tourna. On aperçut les eaux du Danube. C’était Nikopol.
La jeune fille sauta de son siège et, précédant la colonne, entra dans une rue endormie. Çà et là, des toiles militaires, des caisses à moitié pourries montraient encore les vieilles marques de l’aigle d’Autriche. Un soldat qui portait sur sa capote de toile l’écusson de l’infanterie de marine, apparut. Il agitait le canon de son fusil de gauche à droite. Il reconnut sans doute le fanion de la Croix-Rouge, car il s’écarta. On entendit deux coups de feu qui venaient du fleuve. 
Le convoi reprit sa marche et s’arrêta devant une sorte de marché, à moitié couvert d’un toit de chaume. Un infirmier, dont la manche bleue s’ornait de grandes sardines dorées, heurta la porte de l’Hôtel de Ville. Un homme vêtu d’une blouse blanche, déchirée par endroits, la tête enfoncée dans un bonnet de laine jaune, ouvrit enfin. Une discussion s’engagea dans un mélange de français, d’allemand et de jurons. L’état-major d’un régiment de la coloniale s’était réservé l’endroit : un détachement précurseur y cantonnait déjà. Comme pour donner raison à ces paroles, un individu très sale, enroulé dans une couverture, une pipe à la main, descendit l’escalier de bois qui venait du premier étage et baragouina, avec l’accent corse, que les ambulances pouvaient retourner à Salonique et qu’on n’avait pas besoin de cette charogne à Nikopol.
La jeune fille bouscula le portier, attrapa le Corse par un bras, puis elle le gifla à deux reprises. Les gifles résonnèrent dans le hall. Le sergent revint sur le pas de la porte et ordonna de débarquer le matériel de campagne. On apporta des brancards, des lits métalliques, des cantines. Un infirmier noir guida les chariots sous le marché, détela les bœufs.
La jeune fille avait dégrafé son manteau de cavalerie. Elle entreprenait de retirer ses courtes bottes de cuir rouge, pleines de boue et d’herbe collée à la boue. Elle devait avoir trente ans.

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