samedi 20 février 2016

Harper Lee est morte hier

Harper Lee, qui avait 89 ans, est la femme d'un livre, un seul, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, paru en 1960. Certes, au moment où vous avez appris sa mort, hier soir, alors que j'étais dans les orages et sans électricité, vous avez peut-être pensé à un second roman, paru à grand bruit l'an dernier: Va et poste une sentinelle. Certes. Il existe. Mais un peu par accident. On reviendra donc toujours au premier texte, un classique avant l'heure, vendu à plus de trente millions d’exemplaires dans le monde, un livre majeur de la littérature américaine. Ancré dans le Sud profond des années trente, il restitue, par le regard d’une petite fille effrontée, une atmosphère raciste. Comme une enfant, elle veut savoir pourquoi ceci, pourquoi cela… Et dévoile, du même coup, l’envers d’une société confite de préjugés.
En mémoire de l'écrivaine, voici quand même les débuts des deux romans, dans une traduction réactualisée l'an dernier pour le premier, le principal.

Mon frère Jem allait sur ses treize ans quand il se fit une vilaine fracture au coude mais, aussitôt sa blessure cicatrisée et apaisées ses craintes de ne jamais pouvoir jouer au football, il ne s’en préoccupa plus guère. Son bras gauche en resta un peu plus court que le droit ; quand il se tenait debout ou qu’il marchait, le dos de sa main formait un angle droit avec son corps, le pouce parallèle à la cuisse. Cependant, il s’en moquait, du moment qu’il pouvait faire une passe et renvoyer un ballon.
Bien des années plus tard, il nous arriva de discuter des événements qui avaient conduit à cet accident. Je maintenais que les Ewell en étaient entièrement responsables, mais Jem, de quatre ans mon aîné, prétendait que tout avait commencé avant, l’été où Dill se joignit à nous et nous mit en tête l’idée de faire sortir Boo Radley.
À quoi je répondais que s’il tenait à remonter aux origines de l’événement, tout avait vraiment commencé avec le général Andrew Jackson. Si celui-ci n’avait pas croqué les Creeks dans leurs criques, Simon Finch n’aurait jamais remonté l’Alabama et, dans ce cas, où serions-nous ? Beaucoup trop grands pour régler ce différend à coups de poing, nous consultions Atticus, et notre père disait que nous avions tous les deux raison.

Depuis Atlanta, elle regardait défiler le paysage par la vitre du wagon-restaurant avec une exaltation presque physique. Devant son café, au petit déjeuner, elle vit s’éloigner les dernières collines de la Géorgie et la terre rouge apparaître, avec ses maisons au toit en tôle posées au milieu de petits jardins bien entretenus, et dans ces jardins l’inévitable verveine qui poussait, cernée de pneus blanchis à la chaux. Elle sourit en apercevant sa première antenne de télévision, au sommet d’une maison des quartiers noirs en bois brut ; bientôt elles se multiplièrent et sa joie s’intensifia d’autant.
Jean Louise Finch prenait la voie des airs, d’habitude, mais pour le cinquième de ses retours annuels au pays, elle avait décidé de faire le trajet en train, de New York à Maycomb Junction. D’abord, elle avait eu une frousse bleue la dernière fois qu’elle était montée à bord d’un avion : le pilote avait décidé de foncer droit dans une tornade. Et puis, prendre l’avion aurait forcé son père à se lever à trois heures du matin et à faire cent cinquante kilomètres de route pour venir la chercher à Mobile, le tout avant d’enchaîner sur une journée de travail ; il avait soixante-douze ans, elle ne pouvait plus lui imposer ça.

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