dimanche 27 mars 2016

Philippe Djian, le travesti et le tyran domestique

La tentation est grande de lire, ou plutôt de décoder Chéri-Chéri, l’avant-dernier roman de Philippe Djian, avec les clés fournies par la biographie de David Desvérité, parue presque simultanément avec l’édition originale. L’importance de la première phrase, d’où découlera tout le reste. Elle est très brève : « Le jour, on m’appelait Denis. » Une structure familiale dans laquelle Denis est dominé par son beau-père, similaire à la situation d’André Djian, le père de Philippe. Une soudaine surdité de l’oreille droite – mais, dans le roman, elle ira en diminuant. Un personnage d’écrivain revendiquant l’importance de chaque phrase, qui « doit refléter mon engagement à être juste ».
Mais les romans de Philippe Djian ne sortent pas d’un moule unique et les singularités de Chéri-Chéri sont nombreuses. Denis, la nuit, devient Denise à L’Ulysse, cabaret du genre transgenre. Le travestissement y règne, les artistes hommes devenant, sur scène, de superbes femmes. Denis n’a guère d’efforts à fournir : enfant, déjà, il enfilait les habits de sa mère. Et Hannah, son épouse, ne voit pas où est le mal. Elle ne voit ou ne veut voir le mal nulle part, ni dans la posture de tyran domestique de Paul, son père, qui habite le rez-de-chaussée de l’immeuble, ni dans la violence qu’utilise celui-ci pour recouvrer des dettes. Denis tente, non sans mal, de lui montrer à quel point Paul est malfaisant. Mais Denis finit par déraper lui-même en consolant sa belle-mère, tandis qu’il est censé être en compagnie du chauffeur et homme de main de son beau-père.
Chéri-Chéri est, par certains aspects, presque clownesque. Les déguisements de Denis, adaptés à la nuit, deviennent ridicules au petit matin, en particulier quand il s’est fait tabasser par une bande de voyous. Mais la brutalité avec laquelle Paul règle ses problèmes, chez lui comme à l’extérieur, contamine les personnages à la manière d’un virus mortel. Si bien qu’on est moins dans la comédie que dans la tragédie.
Déchiré entre le roman qu’il est en train d’écrire et la nécessité de gagner sa vie, ne serait-ce que pour payer son loyer, Denis est pris dans une tourmente que tout semble alimenter autour de lui. Même la douce et amoureuse Hannah, qui l’appelle Chéri-Chéri, ne peut s’empêcher de provoquer la catastrophe finale, conclusion abrupte d’une succession d’événements dans lesquels un tuyau a joué un rôle décisif. Conclusion, aussi, d’un roman qu’on lit en apnée.

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