mardi 17 mai 2016

René Despestre couronné pour son oeuvre

Il y a quelques jours déjà, René Depestre a reçu le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres (SGDL) pour l'ensemble de son oeuvre. Il ne s'agit pas là d'une récompense très médiatisée, et j'y reviens donc un peu tard - mais j'y reviens malgré tout, parce les livres de cet écrivain haïtien dont la plus grande partie de la vie s'est passée en exil méritent d'être regardés de près. En 1989, je l'avais rencontré après le Prix Renaudot qu'il avait obtenu pour Hadriana dans tous mes rêves. Sa production littéraire ne s'est bien sûr pas arrêtée là, sa biographie non plus, mais je parierais volontiers qu'il pense toujours la même chose sur la question du choix de la langue d'écriture: français ou créole...
Ecrire en créole ou en français, c’est un faux problème. On peut écrire en français sans perdre le créole. En tout cas, c’est ma solution.
Mais votre français mâtiné de créole vous impose un glossaire à la fin du roman…
Oui, parce que le créole est une langue extrêmement imagée, qui permet de dire des choses qu’on ne peut pas dire en français, ou de dire d’autres choses avec plus de force. Il se constitue un va-et-vient entre les deux langues… Le créole me sert de vivier, dans lequel je puise pour compléter. Il y a des Haïtiens qui posent le problème de l’écriture en français ou en créole. Un poète haïtien a même écrit : « cette souffrance à nulle autre pareille d’exprimer avec des mots de France ce cœur qui m’est venu du Sénégal… » Personnellement, je trouve que le créole est un apport de globules rouges pour le français.
Au-delà de la langue, votre source d’inspiration est-elle toujours haïtienne ?
Pas forcément. Il y a des saisons dans une vie. Et je suis dans ma saison haïtienne. Après, j’ai vécu longtemps à Cuba, et j’en parlerai aussi. Puis au Brésil, en France, en Italie…
Depuis combien de temps n’êtes-vous pas rentré en Haïti ?
Ça fait près de trente ans. Et j’avais déjà subi auparavant un exil de onze ans. En quarante et un ans, j’ai vécu moins d’un an en Haïti.
Vous le regrettez ?
J’ai fait une expérience douloureuse au départ, en Haïti même, quand j’ai pensé, en 1946-47, que j’allais occuper un rôle actif à la fois comme homme de lettres et comme homme politique. C’était une erreur de croire qu’on pouvait être à la fois un homme d’action et un homme de création. Alors je me suis rendu compte, au moment de partir, qu’il serait difficile de revenir. Et, quand j’étais dans les autres pays, je me suis senti appartenir à ces pays-là aussi. Je me suis dit : j’ai mon territoire d’exilé dans tous les pays. Je suis un Haïtien de France, le plus Français des Haïtiens. Et je me suis constitué un réseau de racines. Je me sens brésilien, français, cubain, tchèque, la notion de citoyen du monde n’est pas abstraite pour moi. A l’Unesco, je me suis senti comme un poisson dans l’eau…
Dans le contexte de la culture internationale, la culture de votre pays et le surréalisme avaient déjà noué quelques liens…
Je suis un surréaliste de naissance, si je puis dire. Le vaudou est une religion surréaliste. Les dieux vaudous sont des êtres extrêmement surréalistes par leur conduite. Un homme possédé, une femme possédée qui parle, c’est d’une beauté surréaliste. Et cela m’a protégé même dans les moments les plus délirants de la bureaucratie communiste, à Prague. Ou le 1er mai 1952, quand j’étais dans la tribune sur la place Rouge à Moscou, le dernier 1er mai de Staline, c’était pour moi bien plus qu’un défilé. Je voyais d’autres choses. Ce qui m’a protégé aussi, ce sont les femmes. Même en étant un militant discipliné, je baisais les camarades à Moscou, à Pékin ou à Prague. Il y avait toujours au feu une histoire d’amour. Et ça m’empêchait d’étouffer !
Quand vous êtes revenu en Haïti, après tout cela, comment est-ce que ça s’est passé ?
Je connaissais Duvalier quand j’étais jeune. Dans le quartier, je jouais aux cartes avec lui. C’était même comique, parce qu’il perdait souvent et que le gagnant avait le droit de mettre des pinces à linge au perdant, accrochées au nez, à la bouche, aux cheveux… Le dimanche après-midi, en 1943, on pouvait voir Duvalier assis en face de moi, avec ses pinces à linge. Donc je retrouve mon homme épinglé, président de la République, et il me reçoit à bras ouverts. Je venais de rompre avec le parti communiste, mais cela ne voulait pas dire que je basculais avec armes et bagages vers la droite ! Mes cheveux se sont dressés sur ma tête quand il m’a exposé sa politique…
Pour revenir à votre roman, Hadriana en est-il le véritable point de départ ?
C’est Hadriana. C’est la maison où elle a habité, parce que j’ai connu cette maison superbe, qui existe encore et qui est devenue un hôtel. Et j’ai rêvé, j’ai fantasmé depuis l’enfance qu’il y avait une fille dans cette maison. C’est une histoire d’amour que j’ai imaginée à partir de la maison.
Et Hadriana devient un zombie. Est-ce un thème toujours très présent en Haïti ?
Oui, mais pas dans la littérature. Dans la vie. Il y a des pays où la réalité est étouffante, des pays totalitaires où il n’y a pas d’imaginaire, de fantaisie. Et en Haïti c’est le contraire. J’en déduis qu’il faut un équilibre entre le réel et le merveilleux.

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