jeudi 8 septembre 2016

Alice Zeniter, un colloque et une histoire d’amour

Du palmarès des prix littéraires 2015, Alice Zeniter, souvent citée, chaque fois recalée, avait failli être totalement absente. Le Renaudot des Lycéens avait, au dernier moment, rattrapé Juste avant l’oubli. L’idée était bonne, suivons-la une nouvelle fois à l'occasion de la réédition du roman au format de poche.
Car voici un roman, le quatrième si on compte celui de ses débuts à seize ans, composé avec autant de soin qu’une thèse de doctorat et autant de jubilation qu’une histoire d’amour noir. L’intelligence et la finesse forment un heureux mélange dans lequel saveurs et influences sont harmonieusement réparties, dans une palette qui va d’Agatha Christie à Laurent Binet. Les amateurs de tous les genres sont assurés de rencontrer ici un angle sous lequel ils trouveront du plaisir.
Il est question de Galwin Donnell, un écrivain mort dans l’île des Hébrides où il s’était retiré. Son corps n’a jamais été retrouvé, son dernier manuscrit n’est pas terminé. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’être devenu un mythe, à moins que cela ait participé à l’édification du mythe. Les chercheurs du monde entier se sont penchés sur son œuvre et continuent à le faire, en particulier quand ils se retrouvent, tous les trois ans, à Mirhalay, sur les lieux où Donnell a passé ses dernières années. La compétition universitaire bat alors son plein, c’est à qui aura détecté, entre les lignes de l’œuvre, l’allusion la plus ténue à quelque thème encore inexploré. Les combats intellectuels se doublent, lors des promenades ou des repas, de flirts comme il en naît dans les circonstances propices de rassemblements hors du contexte habituel.
Rien n’est moins habituel en effet que ces colloques consacrés à un mort et à un personnage de fiction (Adrian Dickson Carr, le héros des romans de Donnell), dans un lieu qui se définit entre deux affirmations : « les gens de Mirhalay n’existent pas pour le reste du monde », ou : « le reste du monde n’existe pas pour les gens de Mirhalay. » Le huis clos est parfait, l’île étant peu et mal reliée à ce reste du monde.
Pourtant, cette fois, les spécialistes de Donnell ne sont pas tout à fait entre eux. Franck, qui déteste son prénom, qui n’est pas très fier de son travail d’infirmier, s’est invité dans la réunion privée. Il a une très bonne raison d’être là : sa compagne, Emilie, est une jeune émule des grands spécialistes de Donnell, elle prépare une thèse sur l’écrivain. Et, déjà un peu jaloux du sujet de thèse, bien que, rappelons-le, il soit mort, Franck se demande s’il ne trouvera pas, dans le prestige universitaire des invités aux colloques, d’autres occasions de nourrir des craintes sur l’attachement d’Emilie à sa modeste personne…
Ajoutons, entre autres données, la présence, à Mirhalay, d’un gardien très éloigné des préoccupations des visiteurs, et dont le rôle suscite un certain trouble. Un décor escarpé propre à exciter l’imaginaire. Un lieu habité par un fantôme. Tout ce qui n’est pas dit, aussi, et qu’on devine entre les lignes, entre les mots et les gestes. Alice Zeniter maîtrise les éléments de son récit comme si elle dirigeait un orchestre où les solistes les plus remuants se plient à sa volonté. Et, ensemble, jouent une œuvre dont la mélodie et les moments forts resteront gravés dans la mémoire.

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