samedi 19 novembre 2016

Qui est Colson Whitehead?

Dans l'actualité immédiate, il est le lauréat 2016, aux Etats-Unis, du National Book Award, dans la catégorie fiction, avec Underground Railroad, qu'on lira en français le moment venu. Mais il est aussi l'auteur d'autres ouvrages déjà traduits, ceux-là, dont le remarquable Ballades pour John Henry, sorti à Paris en 2005. Faisons connaissance avec ce roman.
Les philatélistes savent des choses que nous, les gens normaux, ignorons totalement. Quel que soit le sujet dont ils ont fait leur spécialité, leur goût pour les petites vignettes les entraîne dans des recherches exhaustives qui font d’eux des spécialistes méconnus. Ainsi, Alphonse Miggs s’est spécialisé dans les timbres ferroviaires. Et il est tout naturel qu’il soit présent, en juillet 1996, au lancement d’un timbre commémorant John Henry sur les lieux mêmes où est née sa célébrité, la petite ville de Talcott en Virginie-Occidentale.
C’est à ce point, bien entendu, que coince le non spécialiste. Qui était ce John Henry ? Colson Whitehead, heureusement, nous dit tout sur lui et sur sa légende, ou plutôt ses légendes. Car, dès le prologue, il en offre des fragments variés et contradictoires, rapportés par des témoins de deuxième ou de troisième main. Une ballade, par ailleurs, dont il existe de multiples versions colporte ses titres de gloire.
John Henry, donc, aurait été un colosse noir qui, dans les années 1870, aurait travaillé au percement d’un tunnel de chemin de fer près de Talcott. Maniant le marteau et le foret comme personne, il aurait un jour défié un marteau piqueur, outil encore perfectible, et l’aurait battu. Puis il se serait écroulé mort.
Le romancier s’est emparé du personnage pour lui redonner vie, et de belle manière, poétique et âpre à la fois. Mais John Henry, s’il est au cœur du roman, est loin d’en occuper la plus grande partie. Pour l’essentiel, le récit se déroule en 1996, pendant le premier Festival John Henry, et mêle des faunes pittoresques venues de divers horizons.
La part la plus réjouissante du livre met en scène un groupe de parasites invités à la fête, tous frais payés. Des journalistes new-yorkais, pour le dire clairement. Ils appartiennent à une mystérieuse Liste gérée par on ne sait qui (on l’apprendra) et grâce à laquelle ils sont conviés à une multitude de cocktails dînatoires et autres réjouissances organisés par des services de relations publiques bien rodés. Parfois, il leur arrive d’écrire un article. Mais ils sont surtout attentifs à la qualité et à la quantité de la nourriture et des boissons. Ils se caractérisent par un cynisme joyeux ainsi que par la certitude que tout cela ne sert à rien, sinon à les amuser un instant.
Un de ces journalistes, cependant, sort du lot : J. Sutter, qui n’est pas indifférent au charme de Pamela, la fille d’un collectionneur fou ayant rassemblé de son vivant tout ce qu’il pouvait trouver sur John Henry. Pamela a eu toute sa vie pour être dégoûtée par le personnage auquel son père vouait un culte. Et elle est venue à Talcott pour se débarrasser d’une encombrante collection qui sera mieux à sa place dans un musée local. Emplie de doutes, cependant, sur ce qu’elle doit vraiment en faire, et accompagnée d’une urne dans laquelle se trouvent les cendres de son père… Elle nous touche aussi.
Quant aux autres, leurs statuts variés défient les catégories. On trouve de tout dans ce rassemblement populaire, à tel point que le chapitre consacré à la foire est une succession de brefs regards sur les individualités fondues dans la foule. On en saisit un détail, on entend une phrase, on passe à autre chose…
Et le philatéliste ? vous demandez-vous peut-être. Ah ! le philatéliste ! Il est à lui tout seul une histoire dans l’histoire, vous verrez bien. Toujours est-il que cette ample fiction qui brasse des thèmes à la louche est un livre fabuleux, drôle, pertinent et impertinent.

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