lundi 12 décembre 2016

William Boyd et une belle figure de femme

William Boyd est le dernier écrivain britannique en date à avoir remis le costume de Ian Fleming pour prolonger l’existence de James Bond. C’était Solo, en 2014. Il n’a pas pour autant abandonné son œuvre personnelle, poursuivie dès l’année suivante avec Les vies multiples d’Amory Clay, de retour en librairie au format de poche. 
Dans la cour de l’immeuble où Amory Clay habite à New York, il y a un arbre. Pas n’importe quel arbre : un ailante, qu’on appelle aussi arbre du paradis. Cleve, son amant du moment, se demande comment elle sait ça : « j’aime connaître l’appellation exacte des choses. Je ne veux pas d’un bête “arbre” anonyme dans ma cour. Je veux savoir comment il s’appelle. »
Amory peut être comprise à travers ce trait de caractère. Il lui vient peut-être de l’erreur commise par son père dans la rédaction de l’annonce de sa naissance pour le Times : le 7 mars 1908, un « fils » prénommé Amory est né. Mais elle ne le découvrira que beaucoup plus tard, après que son père a essayé de l’emporter avec lui dans la mort, après d’ailleurs qu’il s’est éteint, vie soufflée comme la flamme d’une bougie arrivée à la fin de la combustion.
Beverley Vernon Clay, le père en question, est un cas intéressant : écrivain qui a connu quelques succès, surtout celui de l’adaptation au théâtre d’un de ses contes fantastiques, il est, pour le dire vite, devenu fou après la Grande Guerre. En mars 1918, la moitié des hommes du commando à la tête duquel il se trouvait ont été portés disparus. Lui-même manquait à l’appel, il a été retrouvé et n’a jamais pu expliquer ce qui s’était passé.
C’est la première guerre d’Amory, dont elle ne connaît que les conséquences, énormes pour elle. D’autant que l’esprit égaré de son père la pousse à se rapprocher de son oncle Greville, photographe qui lui transmet le goût des images. Mais pas celui des portraits posés pour une clientèle huppée recrutée dans les soirées mondaines de la bonne société britannique. Amory préfère saisir l’instant du mouvement, comme en témoignent les illustrations qui parsèment le livre.
William Boyd, ce n’est pas la première fois, a documenté avec précision une vie imaginaire dans Les vies multiples d’Amory Clay. Il insiste sur l’effet de réel fourni, outre le cadre historique dans lequel s’inscrivent la vie et la carrière de son héroïne, par les photographies supposées ponctuer quelques moments authentiques. La qualité parfois médiocre des clichés aide même à y croire…
Amory est une femme dans un monde d’hommes. Cela peut l’aider dans son ascension sociale, elle n’ignore pas la place occupée par Cleve, son amant américain, directeur d’un magazine, dans les propositions de travail qu’elle reçoit. Pour le reste, elle doit s’imposer sur le front de conflits où peu de femmes photographes sont envoyées. Elle gagnera dans la douleur ses lettres de noblesse de correspondante casse-cou lors d’une manifestation londonienne du parti nazi, et elle mettra du temps à se remettre des coups reçus ce jour-là.
Ce qui ne l’empêchera pas de « couvrir » la Seconde Guerre mondiale, puis de partir au Vietnam où elle retrouvera la peur, si bien qu’elle finira par y photographier la vie qui continue malgré la guerre.
Amory est sans cesse en quête d’elle-même, du meilleur moyen d’exprimer son sens de l’image. La vie privée, pas toujours simple mais moins agitée en réalité que son combat pour trouver sa place dans le monde du journalisme, vient en écho de son travail. Quand elle y repense, en 1977, dans son « Journal de Barrandale » dont les pages interrompent parfois le récit biographique, elle reste pleine de doutes : quelles erreurs ai-je faites ?
Voilà, en tout cas, une belle figure de femme que William Boyd raconte comme s’il agitait un étendard de la liberté, au-delà des convenances propres aux époques traversées, au-delà d’un combat féministe qu’Amory ne prend pas véritablement en compte mais incarne complètement.

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