mardi 3 janvier 2017

La mort de John Berger

J'ai beaucoup lu John Berger il y a longtemps, dans les années 70 et 80. Cet écrivain britannique, dont on vient d'apprendre la mort, hier, à 90 ans, a commencé à publier et à être traduit dès les années 60. Je reviens, en l'absence de documents plus anciens, sur un article que j'avais publié en 2009, à propos de deux traductions qui venaient de paraître, De A à X (traduit de l’anglais par Katya Berger Andreadakis), et Un métier idéal (traduit de l'anglais par Michel Lederer).

Il semble manquer quelque chose au titre : De A à X, deux lettres trop peu pour aller au bout de l’alphabet. Il manque, en réalité, bien autre chose : Aida et Xavier ne se voient plus. La première écrit au second pour lui dire combien il lui manque. Xavier est en prison. Pour longtemps. Jusqu’à sa mort, probablement. Aida, de l’autre côté des murs, subit la violence d’une répression sans logique apparente. Elle raconte son quotidien, pour tenter de prouver que la vie existe encore. Des gestes banals deviennent les signes d’une résistance qui ne dit pas son nom. De temps à autre, sur ces lettres retrouvées dans la cellule de Xavier, celui-ci a écrit quelques mots, en contrepoint plutôt qu’en réponse.
Ce roman épistolaire puise sa force dans ce qui n’y est pas dit. De ce que Aida et Xavier ont partagé autrefois, avant l’arrestation de celui-ci, nous ne saurons que deux ou trois choses, souvenirs sur lesquels Aida focalise la lumière. Les manques, il faudra les imaginer entre les lignes. Entre le passé et le présent d’une femme qui travaille dans une pharmacie et décrit parfois sa journée avec un grand luxe de détails. Il faut bien lutter contre l’absence avec les moyens du bord. Parmi les plus émouvants de ces moyens, des dessins de mains dans différentes positions, tenant ou non des objets, et qui ne peuvent pas toucher l’homme aimé…
Déchirant de sensibilité, De A à X semble faire écho à un ouvrage plus ancien de John Berger qui avait publié, il y a plus de quarante ans, Un métier idéal, enrichi des images de Jean Mohr. C’est le portrait d’un médecin de campagne anglais, John Sassall. Dans la campagne où il exerce son art – le mot « art » est irremplaçable –, l’écrivain et le photographe l’ont suivi pour des interventions graves ou insignifiantes. Dans sa première partie, le livre raconte des cas auxquels le médecin est confronté. L’intimité des patients est exposée sans voyeurisme, dans un mouvement d’empathie qui épouse celui du médecin. Introduction nécessaire qui nous place sur le terrain, en compagnie d’un homme étonnant. Ses compétences, sa valeur humaine, son idéal, seront analysés plus tard.
Plus tard, ce sera aussi le moment de détailler la relation entre médecin et malade. De définir la place du premier dans la communauté où il est installé. De s’ouvrir à ses doutes, à sa dépression chronique. D’essayer de généraliser, mais pas trop, l’approche du soigné par le soignant…
C’est un magnifique portrait. Et beaucoup plus que cela. Un livre que devraient lire tous les médecins et tous les malades, même potentiels. C’est-à-dire tout le monde.

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