lundi 6 février 2017

N’importe quoi, mais avec talent

Dans le précédent roman de J.M. Erre, la fin du monde avait du retard. Mais la fin du monde se joue à chaque page de cet étrange écrivain. La fin du monde tel que nous le connaissons, du moins, car Erre détourne, avec autant d’application que de talent, les codes selon lesquels fonctionnent nos cerveaux imprégnés de séries B en tous genres – il a écrit un Série Z qui portait bien son titre. Avec Le grand n’importe quoi, il lorgne du côté de l’anticipation, de la science-fiction sans la science, quoique…
Nous sommes le 7 juin 2042, qui serait un soir comme un autre si Alain Delon, fondateur des Homonymes Anonymes, ne l’avait choisi pour se pendre. Il a tout raté dans sa vie, il compte réussir son suicide. Puisque cela se produit dans les premières pages, nous pouvons vous le dire : c’est un modèle du genre, le nœud coulant était parfait. Du coup, Alain Delon, passionné par la vie extraterrestre à la recherche de laquelle il a consacré son existence, manque la rencontre du troisième type qui s’offrait à lui au moment où il n’arrivait plus à respirer. Difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre (on s’arrêtera là pour l’instant).
Il y a trop d’humains sur la planète, sans compter les extraterrestres, pour les suivre tous au cours d’une soirée qui, décidément, ne sera pas comme les autres. On en suit quand même un certain nombre, voire un nombre certain. Le casting a prévu d’autres Homonymes Anonymes. L’imaginaire galope, toutes les collisions sont possibles, et on n’oubliera pas l’hypothèse d’une fin du monde. En attendant, il y a trois cents pages à traverser, en un temps ramassé : il est 20 h 42 quand Arthur, épuisé par les conneries qu’il a pu faire ou voir et leurs conséquences, car il s’est déjà passé pas mal de choses étranges, trouve l’enseigne d’un bar qui semble accueillant malgré son nom : Le Dernier Bistrot avant la fin du monde. Mais on ne va pas en faire une obsession…
Il sera plusieurs fois 20 h 42 ce soir-là, ce qui ne tombe pas si mal puisque c’est l’heure du « Pas Très Normal Show » à la télé, le moment dont profite Angelina Poyotte, maire de Gourdiflot-le-Bombé où se passe l’essentiel du roman (si l’on fait abstraction de quelques incursions hors du système solaire), pour préparer quelques surprises à ses administrés. Leur pourrir la vie, en somme, assez pour qu’ils ressentent, en découvrant par exemple que leurs nains de jardin ont été déplacés, la nécessité d’être dirigés par une femme comme elle. Côté jour, pas côté nuit, bien entendu.
Des intrigues inracontables se trament, que pourtant le romancier raconte très bien, probablement parce que l’improbabilité est une science inexacte qu’il maîtrise avec un humour constant et une effrayante précision. Il est donc 20 h 42, rien n’est encore arrivé, il est déjà arrivé un gros paquet d’événements. Et ce n’est pas fini, le temps s’écoule, contrairement aux apparences.
Un roman à consommer, cependant, avec modération : le fou-rire est parfois mortel.

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