dimanche 4 juin 2017

Un enfant soldat dans la maison d’une ministre de la Culture

Emmanuel Dongala n’a pas toujours été publié chez Actes Sud. Johnny Chien Méchant était paru au Serpent à plumes il y a une quinzaine d’années. Mais c’est en « Babel », la collection de poche de la nouvelle ministre française de la Culture, que reparaît ce roman. L’écrivain congolais y est accueilli depuis 2010.
C’était avec Photo de groupe au bord du fleuve, un livre puissant qui remporta plusieurs prix littéraires, et qui a été suivi, cette année, par La Sonate à Bridgetower. Emmanuel Dongala est donc maintenant comme chez lui à l’enseigne d’Actes Sud, dont la patronne, Françoise Nyssen, vient d’être nommée à la tête du ministère de la Culture. D’une certaine manière, elle occupait déjà ce poste à Arles, où la maison d’édition fondée par son père il y a quarante ans s’était adjoint sous sa direction une librairie, un cinéma, une salle de concert…
Il est donc plaisant de saluer, à l’occasion d’une réédition parue ce mercredi, une nomination intervenue le même jour. Sans oublier, bien entendu, le livre dont on avait l’intention de parler, et auquel on revient tout de suite.
Ahmadou Kourouma avait donné voix, dans Allah n’est pas obligé, à un de ces enfants soldats que les guerres africaines consomment sans modération. Avec Johnny Chien Méchant, Emmanuel Dongala en invente un autre, à peine plus âgé (seize ans), et lui adjoint en contrepoint une Laokélé, quinze ans, appartenant au long cortège des réfugiés dans leur propre pays.
On pourrait l’oublier : en principe, une guerre, même civile, surtout civile, se justifie. Même celle-ci : « Lorsque les combats avaient commencé, nous, on savait seulement que, comme d’habitude, deux leaders politiques se battaient pour le pouvoir après des élections que l’un disait truquées et que l’autre disait démocratiques et transparentes. » Reste à savoir pourquoi s’engager de l’un ou de l’autre côté. Le hasard joue un rôle presque aussi grand que la nécessité, les motivations réelles étant loin d’être politiques, loin aussi des discours officiels pour le peuple et la liberté. Johnny lui-même donne ses raisons : « Pour nous enrichir. Pour faire ramper un adulte. Pour avoir toutes les nanas qu’on voulait. Pour la puissance que donnait un fusil. Pour être maître du monde. »
Dans ce contexte, tout est permis, l’autorité des chefs étant la seule limite, à moins que ce soit leurs caprices. Johnny relate ses exploits avec la fièvre de pouvoir qui l’anime, et qui contamine l’écriture de Dongala pour mieux rendre compte de cette folie.
Comme il faut bien que d’autres la subissent, la population civile est ballottée selon les avancées de l’un ou l’autre clan. Chaque victoire étant ponctuée de pillages, Laokélé n’a rien de plus pressé, à l’annonce de prochaines vicissitudes, que d’enterrer les maigres biens de la famille, de charger sur une brouette sa mère amputée des deux jambes et de prendre la route avec son jeune frère.
La route est encombrée d’autres fuyards qui ignorent la meilleure direction à prendre. Le flot est mouvant, le chaos est total. Dongala donne l’impression de filmer la foule caméra à l’épaule, dans le tremblé du reportage saisi sur le vif. On s’y croirait. Et rien n’est drôle, en particulier pour Laokélé que nous suivons dans les plans rapprochés.
Laokélé est plus mûre que son âge. La résistance aux événements lui a tanné la peau, sans entamer sa sensibilité. Elle est impressionnante de maîtrise d’elle-même, et le sera jusqu’au bout, dans une dernière scène racontée deux fois, des points de vue du jeune garçon et de la jeune fille puisqu’il fallait bien que l’alternance des voix se conclue par leur rencontre.
Sur un sujet douloureux, Emmanuel Dongala, que ses précédents livres avaient déjà placé parmi les écrivains africains francophones de premier plan et qui a prouvé depuis celui-ci la constance de son inspiration de haut vol, réussit un roman saisissant de réel. Tout y est, d’une guerre qui ressemble à tant, à trop d’autres et qui implique aussi une communauté internationale parfois bien virtuelle. Johnny Chien Méchant restera, parce qu’il est d’une rare justesse de ton ou de tons, entre les deux personnages principaux, une transposition romanesque exemplaire de l’histoire immédiate.

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