dimanche 3 septembre 2017

L’amour et la haine selon Régis Jauffret

La pratique épistolaire n’est-elle influencée à la baisse que par l’évolution des moyens de communication ? Toujours est-il que le roman épistolaire, genre qu’on peut trouver anachronique, est pratiqué par Régis Jauffret, écrivain qu’on ne peut en revanche qualifier d’antimoderne, dans Cannibales. Noémie s’y adresse, parfois sous pseudonyme, à Jeanne, qui lui répond. Geoffrey, compagnon de la première et fils de la seconde, intervient ensuite dans une conversation qui le touche de près.
Il n’en en effet question que de Geoffrey dans le dialogue lancé par Noémie quand elle annonce leur séparation à celle qui aurait pu, s’il y avait eu mariage, être sa belle-mère. Celle-ci ne fait pas trop de commentaires – « Vos histoires ne me regardent pas », écrit-elle. Mais prévient : elle a fait photocopier la lettre pour que Geoffroy la lise.
Les choses s’emballent, le ton monte entre Noémie et Jeanne, celle-ci défendant le fils que celle-là dénigre. Mais l’échange, qui aurait pu être rompu à chaque instant par l’une ou l’autre, prend une tournure différente : au fond, reconnaît Jeanne, Geoffroy n’est pas un type défendable, il n’a pas sa place dans la société, il faudrait même l’éliminer. Un désir de meurtre saisit les deux femmes, faisant cause commune au nom de la salubrité publique. Le complot est en marche, Jeanne envisage les différentes manières de préparer, à des fins gastronomiques, les morceaux de Geoffrey quand il sera mort, découpé. Elle conseille même à Noémie de lui manifester toute l’affection qu’elle n’éprouve pas afin d’attendrir la viande, de la rendre plus goûteuse. On se souvient d’Univers, univers, roman de Régis Jauffret qui se déroulait pendant que cuisait un gigot. Depuis, nous ne sommes pas sortis de la cuisine…
Mais les principaux ingrédients utilisés par Régis Jauffret sont l’amour et la haine. Une haine d’autant plus exacerbée qu’elle ne parle que d’amour. Une haine qui aide à vivre, ainsi qu’en prend conscience Jeanne : « Tout autant qu’un squelette, nous avons besoin de haine pour nous tenir debout », dit-elle à Noémie, heureuse de mettre des mots, quand bien même ils auraient été empruntés au galimatias d’un homme qui parlait à la télévision, sur les forces nouvelles qu’elle retrouve depuis que les complices caressent cette idée d’assassinat.
Sous les mots germe bien davantage que des intentions meurtrières : un besoin de vivre, une envie de partage, un rêve évanoui. Tout ce qui se dit et se sous-entend dans une correspondance.

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