jeudi 19 octobre 2017

Jean-Luc Coatalem, Prix de la langue française

Donné à Brive, créé d'ailleurs par la ville en 1986, le 10 novembre prochain à l'ouverture de la Foire du Livre, le Prix de la langue française va cette année à Jean-Luc Coatalem. En pensant, probablement, à son livre le plus récent, Mes pas vont ailleurs (Stock), dont je vous parlais brièvement ici au moment où la Bibliothèque malgache sortait simultanément deux ouvrages numériques liés au sujet choisi par l'écrivain: Victor Segalen. Mais il ne s'agit pas, avec ce prix, de saluer seulement une publication. Toute une oeuvre est placée dans la lumière. Retour justifié, donc, sur quelques ouvrages précédents.

Un jour, Louis Noël, dit Bouk, orphelin parrainé par le grand-père de Lucas, est parti. Né près d’Angkor, arrivé dans la famille bien que s’en tenant toujours à l’écart, à l’abri derrière les pages économiques du Figaro, il était la touche exotique qui ancrait l’histoire commune dans un ailleurs mythique. Des intérêts commerciaux avaient forgé les premiers liens, puis  ceux-ci avaient débordé du cadre matériel.
Beaucoup plus tard, devenu journaliste – comme Jean-Luc Coatalem –, Lucas, le narrateur, part à la recherche de ce presque frère égaré dont la légende prétend qu’il est retourné sur le lieu de ses origines. Au Cambodge, le journaliste ne trouve que les ruines des temples, ce qu’il reste d’une ville dont des archéologues tentent de reconstituer le passé et des interrogations sur sa propre vie. En particulier sur l’étrange attirance suscitée par l’Asie. Ce qu’il appelle un tropisme asiatique. Traduit, dans son cas, par l’amour d’une jeune femme qui comprendra n’avoir pas été choisie pour elle-même mais comme représentation de quelque chose qui la dépasse. La quête de Bouk, dont le véritable nom, Attitya, prend progressivement le dessus, semble vouée à un échec qui précipite aussi la fin d’une liaison.
Mais, comme dans un récit initiatique, même si l’initiation est tardive, le temps passé à définir ce qu’on cherche est au moins aussi important que de le trouver. La tentative de relier le passé et le présent telle que la conduit Lucas est sa manière de remettre en place les éléments d’une vie dans laquelle les silences ont laissé des zones inexplorées.
Le dernier roi d’Angkor dessine la place d’un manque affectif creusé aussi par l’absence du père. Et dont le comblement est une vue de l’esprit conçue par un Blanc parfois renvoyé avec rudesse à des désirs trop occidentaux et non partagés. En parallèle, moins pour expliquer que pour éclairer, le romancier pose l’histoire d’Hergé et de Tchang, personnage du Lotus bleu inspiré par une amitié authentique.

Où situer Antipodia ? « Nulle part ou autre part », répondrait Albert Paulmier de Franville, gouverneur de l’île. Une île ? « Un rocher parmi les vagues. Un cratère effondré. » Supposons, pour les lecteurs soucieux de géographie, que nous sommes, comme l’explique le gouverneur, à l’est de l’archipel Crozet, sur une île découverte en 1772 par Marc-Joseph Marion-Dufresne et située approximativement sur la même longitude que les Kerguelen. C’est-à-dire assez loin vers le sud pour « bénéficier » d’un climat assez rude, de vents violents et d’une mer souvent grosse.
Pour plus de détails, imaginaires ou non, demandez à Jean-Luc Coatalem, grand voyageur et écrivain puisant son inspiration un peu partout dans le monde. Il en fournit d’abondance, histoire de rendre le lieu crédible.
Le gouverneur exerce son pouvoir sur un territoire ridicule. S’il est arrivé là, ce n’est bien entendu pas pour récompenser de bons et loyaux services mais plutôt pour l’éloigner du scandale provoqué par ses égarements. La population de l’île est exclusivement composée du « personnel technique » : le seul Jodic, en poste depuis presque quatre ans. Il est un peu le Vendredi du Robinson que représente le gouverneur. Aux deux hommes, il faut ajouter la faune marine, les oiseaux et les chèvres. Très importantes, les chèvres : leur troupeau, stratégique, est destiné à nourrir les éventuels rescapés d’un naufrage. On les compte et les recompte avec un grand sérieux approximatif. Car elles bougent et Jodic est devenu chasseur – à l’arc, pour rester silencieux.
La plupart du temps, les deux habitants d’Antipodia s’ennuient ferme. Jodic s’évade grâce à une herbe dont il a découvert les vertus hallucinogènes. Le gouverneur fait mine d’être celui dont tout dépend. Sa devise pourrait être cette phrase de Jean Cocteau : « Puisque ces choses nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. » Jusqu’au moment où même l’imitation du pouvoir dépasse son énergie en voie d’extinction. La solitude, même à deux, déborde les digues qui maintenaient encore Jodic et le gouverneur dans l’apparence de la civilisation – dont ils sont, à leur pauvre manière, les représentants. Mais ils n’ont pas de témoins pour leur donner l’impression que cela sert à quelque chose.
Aussi, quand Moïse, le bien nommé puisqu’il est sauvé des eaux, débarque sur la terre d’Antipodia, il n’est pour ses résidants qu’un intrus, et non un être humain à sauver. Les personnages principaux sont bousculés, plus que par les événements, par l’absence d’événements, usés par celle-ci et devenus incapable de réagir encore selon les règles qu’ils devraient respecter et faire respecter.
Jean-Luc Coatelem a réussi une saisissante réécriture d’un Robinson Crusoé influencé par la littérature contemporaine.

Les nouilles froides sont une spécialité culinaire de la Corée du Nord. Quand on en trouve. Le jour où cela se produit enfin, Jean-Luc Coatelem reste… perplexe. Comme devant tout ce qu’il a vu, d’ailleurs. Le voyage dans ce pays très fermé (le dire n’est rien) est réduit à un programme suivi avec rigueur par un guide lui-même surveillé par un autre guide, le chauffeur étant peut-être le surveillant des deux…
Il a fallu, d’abord, se faire passer pour quelqu’un d’autre : un agent en charge d’une hypothétique clientèle touristique, explorant les « charmes » d’un pays où tout ce qu’il y aurait à voir est caché, où tout ce qui est caché pourrait être intéressant – mais on n’en saura rien, sinon à l’occasion d’une autre déception : la visite au pas de charge d’un musée qui n’était pas au programme et dont les collections se limitent à des portraits de la dynastie au pouvoir depuis 1945. Ces portraits sont partout. Partout où le Leader Maximo local, un des trois Kim, a mis le pied, le lieu est devenu objet de vénération, des albums photos rappellent la visite historique. On ne s’étonnera pas de constater qu’elle a eu lieu partout.
L’an dernier, Charly Delwart avait publié Citoyen Park, un étonnant roman décrivant un pays imaginaire mais très semblable à la Corée du Nord. Jean-Luc Coatalem le rejoint quand il se trouve face à la réalité : « la propagande avait fait plier ce peuple sorti d’une boîte grand format de Lego. Au point de plonger la RPDC dans une fiction vraie. Fiction dont les héritiers continuent, aujourd’hui, à rédiger les chapitres. »
Le voyageur, accompagné d’un ami qui n’avait à peu près jamais quitté la France et s’était d’un coup décidé à visiter un pays lointain à tous points de vue, s’étonne autant de la pauvreté du pays que de la pauvreté de ce qu’il propose aux touristes. A la longue, il se fatigue de s’étonner. Il doit faire des courbettes devant une statue ou une momie, déposer des fleurs, se contenter de portions minuscules aux repas, dormir dans des hôtels qui semblent avoir été ouverts seulement pour son compagnon et lui. Mais il refuse de plonger dans un bain de boue froide, malgré les bienfaits promis. Et n’en pense pas moins…
Le tourisme a ses limites, clairement dessinées ici. Heureusement, Jean-Luc Coatalem est aussi capable de s’inventer d’autres mondes, comme il l’avait fait dans Le gouverneur d’Antipodia.

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