jeudi 28 décembre 2017

Les marges des Etats-Unis visitées par T.C. Boyle

Cela commence comme une de ces excursions foireuses que les croisiéristes vantent aux amateurs de dépaysement et leur vendent à prix élevé pour, à l’arrivée, engendrer la déception : l’autocar où se trouvent Sten et Carolee, au Costa Rica, renforce les chocs d’une route pourrie plutôt que de les amortir, tout est douteux dans les boissons et l’alimentation, le comportement du conducteur ne rassure pas. Sten en a marre, la retraite d’un proviseur, vétéran du Vietnam, mériterait plus d’égards…
Le quinzième roman de T.C. Boyle traduit en français depuis 1998, sans compter les recueils de nouvelles, secoue dès les premières pages. Une bonne manière d’annoncer une suite où l’écrivain ne relâchera pas davantage la tension qu’il ne lâchera personnages et lecteurs dans un flux d’événements se succédant sans grandes plages d’apaisement.
Au terme de leur parcours en autocar branlant, le groupe est agressé par trois détrousseurs de touristes, des gamins, dont l’un est armé d’un pistolet. Sten, dans une sorte de réflexe hérité de sa formation de marine, le désarme et le tue. Les touristes sont indemnes, Sten est un héros que la police locale remerciera pour le service rendu. Au retour en Californie, sa réputation l’a précédé, tout le monde lui parle et veut lui payer un verre.
Est-il pour autant un de ces hommes désignés par le titre du roman, Les vrais durs ? Oui et non. Les choses sont un peu plus complexes et le romancier rassemble, comme souvent dans ses livres les plus ambitieux, des comportements opposés les uns aux autres. Le plus éloigné de Sten, homme intègre et parfaitement intégré à la société, comme il vient encore de le prouver, est son fils Adam : il voit des aliens partout et se prend pour la réincarnation de Colter, héros des temps où Lewis et Clark, qu’il accompagna dans leur grande expédition vers l’ouest au début du 19e siècle, écrivaient de nouvelles pages dans la géographie des très jeunes Etats-Unis. Totalement asocial, Adam est aussi un vrai dur. Et le prouvera.
Avant cela, il aura séduit Sara, qui soigne des chevaux et quelques autres espèces d’animaux, qui est surtout réfractaire à tout pouvoir avec lequel elle n’a pas passé de contrat. Comme elle n’a passé aucun contrat, la ceinture de sécurité, les impôts, la vaccination de son chien et d’autres broutilles ne dépendent, selon elle, que de son bon – ou de son mauvais – vouloir. D’où des ennuis en cascade et une fascination immédiate pour le personnage incarné par Adam, encore plus radical qu’elle. Mais pour des raisons moins philosophiques, et avec des conséquences finalement très inquiétantes.
T.C. Boyle poursuit, avec Les vrais durs, une exploration en profondeur des grands mythes américains. Il n’hésite jamais à les ébranler en les menant jusqu’au bout de leur logique, et l’on ne s’étonne pas trop de les voir déboucher sur quelque chose d’absurde. Ils sont en effet intenables entre les principes réputés immuables et la force du réel. La confrontation est rude, elle tient en tout cas les yeux du lecteur grand ouverts.

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