jeudi 7 décembre 2017

Prix Rossel 2017 : Laurent Demoulin

L'unanimité est assez rare dans un jury littéraire. C'est elle cependant qui vaut le Prix Rossel 2017 à Laurent Demoulin pour Robinson.
Robinson, fils d’un narrateur que l’on devine proche de l’auteur, est dans son île de « oui-autiste », à côté des « non-autistes ». Ceux-ci, pour la plupart, éprouvent quelque gêne à découvrir des comportements sans rapport avec leur normalité. « Robinson n’a aucun problème. Parfois, il s’ennuie, parfois il râle, parfois il a mal au ventre. Mais la plupart du temps, il est gai, harmonieux, bien dans son corps, content de ses occupations. Il n’a pas de problème. Mais il en est un. Dans le monde tel qu’il est et tel que de plus en plus il devient. »
La vie quotidienne est pleine d’attentions particulières, car Robinson, dont le prénom est aussi le titre du livre, doit être tenu à l’œil. Un instant de distraction suffit à ouvrir la possibilité d’une catastrophe. Liée, souvent, à l’usage que fait l’enfant de ses déjections – appelées par leur nom, et fâcheusement enclines à se répandre : « Ce livre qui a d’abord cru s’intituler L’Amour et la Merde aurait-il pu porter le titre La Merde et la Mort ? »
Tout le monde chie, remarque l’auteur – Marie, le Christ, Karl Marx, etc. Mais c’est plus visible chez le oui-autiste pour qui tout peut être manipulé comme un jouet sorti de lui-même. Les murs, les tapis, les draps, rien n’échappe à l’artiste prêt à utiliser toutes les surfaces à sa portée. Le plus trivial, le plus dégoûtant, n’a plus rien de trivial ni de dégoûtant, si bien qu’on peut en parler comme d’un élément parmi d’autres dans la vie amoureuse qui relie le père et le fils. Le premier souffrant cependant du dos à force de porter un enfant de plus en plus lourd.
On connaissait Laurent Demoulin poète et universitaire. Le voici d’ailleurs, ou son double, invité à prononcer une conférence sur Roland Barthes et le roman contemporain, partagé, le temps de préparer son texte : « Durant cinq jours, mon quotidien est écartelé entre Barthes, que je lis et relis, et Robinson, que je suis et resuis, du regard et à la trace, Robinson et Roland, Barthes et Binson, Rolinson et Robin Barthes, Robarthes et Barthinson. » Le poète est toujours là, l’universitaire aussi. Mais pas seulement : de la même manière que Robinson fait œuvre artistique brute (et puante) avec sa merde, l’écrivain s’empare de ses tourments et de ses joies, sans rien masquer des premiers bien que les secondes laissent, chez le lecteur, les traces plus profondes de moments de grâce.

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